Accéder au contenu principal

Toujours pas de bus 86

Macro.


Sur le poteau rouge, l’affichette indiquant peinture fraîche reste en place trois jours d’affilées malgré l’hygrométrie hivernale. Peinture coriace.


Dialogue soutenue en chinois dans le café. Elle tousse un peu. Elle vient d’avaler un sachet de médicament en poudre. Leur conversation sonne joyeuse, tonique. Elle évoque peut-être ses agacements assez anodins sur son lieu de travail , sur un ton amusé, et les bourdes de ses consœurs et confrères. Juste une hypothèse. 


Toujours pas de bus 86.


Un homme d’apparence vestimentaire assez miteuse, masque ne recouvrant ni le nez ni la bouche. Il tergiverse puis s’adresse au patron pour passer commande. 3125 yens de café en grains. Il enfourne ses achats dans un sac à dos fatigué blanchâtre où figurent des idéogrammes à la couleur délavée. Je pense brièvement qu’il s’agit peut-être des noms de sanctuaires visités lors d’une tournée sur un chemin de pèlerinage en province. Un voyage dévot il y a longtemps. C’est un habitué de l’achat de café ici. 


Autre client. Achat de café et d’une tasse de blend à 230 yens, total 2411 yens, monnaie sur 3000 yens.


Le fond musical est pop jazz sur verbe chinois.


Toujours pas de bus 86.


Au sujet du viol d’une jeune femme aux aurores rue de Rivoli - et pourtant je ne lis pas les chroniques de faits divers - atroce - le coupable est très probablement à chercher parmi les hommes ayant fréquenté la même soirée.


De mémoire, nom SLIM? Le mini vaisseau lunaire japonais d’atterrissage de haute précision qui s’est rétamé, ou plus précisemment a culbuté sur une pente au moment de toucher le sol sans doute de manière un peu violente se recharge approximativement malgré les panneaux solaires très mal orientés. C’est très fort. Nous en serions incapable la tête en bas, les jambes en l’air. Toyota aussi serait incapable de cela. 


Toujours pas de bus 86.


Je mentionnais tantôt ce couple de français qui envisagent de vivre au Japon. On a fait le tour de notre région est une expression qui me laisse songeur, qui participe de la consommation de l’espace tout comme en voyage. On vit au quotidien comme à destination qui n’est pas interchangeable mais perçue comme remplaçable. L’attachement aux lieux de vie ne dure qu’un temps, jusqu’à ce que cela ne dure plus. 


Toujours pas de bus 86.


S à New York s’approche de la caméra pour me montrer l’excroissance d’os sur son front que le médecin a estimé être bénigne. Elle se nomme en riant unicorne. On parle comme deux dames qui feraient souvent leurs courses ensemble. New York, c’est Tokyo moins 14 heures. Son père à 90 ans demeure le chauffeur de taxi probablement le plus âgé de la ville, en taxi jaune comme il se doit. Souvenir d’une panne dans la neige à Manhattan. On avait attendu la venue de l’agent réparateur de la compagnie de taxi. S s’énervait avec sa mère dont le rôle toujours actif est de l’énerver. Je comptais les points. Une fois que son père a paru dans presse avec photo dans l’article (elle me l’a envoyé), d’autres médias se sont engouffrés pour lui demander une interview. Il a posé comme condition d’être payé du montant affiché sur le compteur. Cela en a offusqué plus d’un. Crétins de journalistes. Médias abrutis. Tout le monde agent de la précarité de l’autre.


Chute d’une tasse derrière le comptoir. Bruit de casse.


Et toujours pas de bus 86.


Un homme à casquette et lunettes assis à la table commune prend des notes sur un calepin. Lui aussi peut-être cherche à rendre la ville un domaine perecquien de prédilection. Prépare-t-il l’oeuvre?


Une voiture de police passe, s’arrêtant consciencieusement pour laisser la priorité aux passants qui traversent sans accélérer.


Un taxi version compacte d’obédience londonienne passe.  Mention en gros de l’appli GO. Le taxi est plus que jamais un mode de transport d’aisés. La moindre course coûte au minimum trois déjeuners dehors à prix modérés.


Homme en imperméable noir avec longue et fine queue de cheval passe.


J’attends en vain le passage du bus 86.


Le patron tousse. Mauvais signe. C’est un bouillon de culture ce café.


Téléchargement de Holocaust de Reznikoff, mais lecture pas encore débutée. Ces références, comme celle de Marcel Cohen et ses Faits en cours de lecture eux, figurent dans cet ouvrage Factographies. L’enregistrement littéraire à l’époque contemporaine, qu’il me faut acquérir. L’auteure Marie-Jeanne Zenetti est interviewée dans un podcast de France Culture datant de 2014 heureusement toujours audible en ligne. K sherpa m’apporte bientôt de Paris Écriture et expérience de la vie ordinaire. Perec, Ernaux, Vasset, Quintane, de Maryline Heck, d’une maison d’édition belge que c’est tout de même hors de prix de se procurer des livres belges à distance. Tout concorde. Ceci est mon sujet qui se cristallise comme de bonnes vieilles coïncidences. 


Echange humoristique entre le patron jovial avec son staff, dénué d’émotion avec la clientèle, sauf celle qui a visité ici depuis 157 ans. Cette dichotomie est remarquable mais l’aide à vivre cette vie totalement statique, je suppose.


Toujours pas de bus 86.


Le sensiblement immobile homme au calepin devant lequel je suis assis maintenant se roule avec extrême lenteur une cigarette. Acte singulier. Un étudiant de Todaï qui m’avait adressé la parole l’autre jour arrive et me dit bonjour. Il est visuellement japonais, éduqué en France. Il deviendra un avocat de renom.


Toujours pas de bus 86.


Tout n’est pas captable, en particulier le vestimentaire des gens qui passent devant le panneau vitré écran. Je serais bien incapable de trouver un vocabulaire adéquate. Désintérêt du vêtement commun. 


Ils sont allés au point de distribution d’eau mais il n’y avait plus d’eau, hormis des flaques croupies. Ils sont allés au point de distribution de nourriture mais la foule mendiante et gémissante était compacte et l’homme versant le remugle dans les auges trop éloigné, inaccessible. Ils sont allés au buffet de sushis mais les premiers avaient déjà tout dévoré.


Déjeuner à Koenji, à Fudo 風土. Je l’avais dans l’oeil depuis quelques temps. On peut y manger pour 650 yens. C’est délicieux, exquis. Le resto U de Waseda est battu à plates coutures. L’établissement est ouvert du lundi au samedi et fait même le service du soir jusqu’à tard. Une vie de routine à décider de facturer peu. Sur Google Maps, seuls les rageurs exposent leurs griefs. Les autres suivent cette incontournable mode d’expliquer où se trouve l’établissement, ce que l’appli fait, puis s’étendent sur le Good Old Showa des lieux, tout cela parce que le lieu odorant n’a pas changé. Showa, c’est un truc qui n’a pas changé, comme dans la chanson. Le patron a 75 ans peut-être. Il me recommande le maquereau grillé et j’aime être conseillé. Il me demande de choisir un petit accompagnement. Je prends le satsuma-age. Il me recommande d’y verser une larme de sauce de soja. Le filet de poisson est petit mais qu’importe. Il maîtrise le grill. C’est délicieux. Redite. La télévision débite ses âneries sur cet ex-ultra terroriste décédé quasi-incognito d’un cancer de l’estomac. Il révéla son identité quelques temps avant sa mort. Un expert des plateaux explique que l’individu avait décidé de se fondre dans la société japonaise sous le ton de le Japon c’est mieux, parce qu’à l’étranger, son faciès de japonais ne pouvait passer inaperçu très tiré par les cheveux comme argument qui ne se discute pas puisque cela vient d’un expert qui sait. C’est sans compter l’absence de déjeuner dans cet ailleurs à faciès immédiatement reconnaissable, déjeuner à 650 yens dans un restaurant de poche avec seul un comptoir bien encombré et un fond odorant pas très net d’odeurs accumulées.


Toujours pas de bus 86.