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Personnages principaux


On m’a fait savoir le 20 que l’établissement de la chaîne de salons de thé pâtisserie populaire Fujiya dans l’arrondissement Naka de Yokohama fermait le jour même pour cause de démolition de l’immeuble devenu vétuste et irrécupérable. C’était la déco plus que les gâteaux qui avaient un intérêt, mais la nostalgie des autres n’est pas ma tasse de thé. Quand on investit la réflexion dans les différences et oppositions de principes entre nostalgie - un filon exploité - et routines - une multitudes - les choses deviennent claires. La nostalgie d’enseigne, non merci.


A Bronx l’autre jour, il a fallu que la serveuse tonique me demande comment va le travail, et que le patron, qui n’est pas le propriétaire comme je l’ai appris en lui demandant alors qu’il sortait de sa cuisine cagibi pour m’annoncer qu’il envisageait de quitter tout cela, puis s’être enquéri de Shizuoka, m’ont touché en plein coeur par leur solicitude chaude, avec quelques mots, peu d’échanges mais pétris d’affectuosité, me montrant ainsi qu’il n’avaient rien oublié. C’est à Bronx que je devrais remonter le fil du temps et rattraper les occasions perdues de ne pas y avoir été un habitué dévoué. Tout s’y trouve, pour y faire un roman avec soi dedans.

Les interstices d’immeubles de Ginza sont plus granuleux en hiver que sous la chaleur, mais ils ne réussissent pas à renouveler l’intérêt pour le quartier. Ginza est devenu au fil des ans source de malaise qui donne envie de fuite. Heureusement, les lignes de celle-ci sont multiples. Ces interstices, inter et parfois intra-immobiliers, sont des éléments urbains peu courants qui méritent vraiment une pensée, un autre traitement plutôt que l’indifférence de fait ici. Certains sont maintenant bouchés à mi-course et obligent à rebrousser chemin. Il reste que traverser un immeuble de part en part au niveau du rez-de-chaussée a un quelque chose de ludique singulier qui n’est pas hausmanien et le territoire proche, en particulier Yurakucho, offre encore ce jeu là qui est de l’enfance. 


A Paulista, une famille de Chinois aisés avec deux jeunes garçons joyeux à l’appétit de garçons, puis deux jeunes ultra-bourges chinoises chargées d’achats et tapissées de cosmétiques, le visage refait aux endroits stratégiques. Elles ne décrocheront pas le regard de leur écran, l’air affairé. 


L’insipide de la nourriture du lieu est le fait remarquable. Tout le verbiage historique sur papier chromé n’y change rien. La dimension insipide dans la restauration gagne du terrain, assemblage d’ingrédients strictement visuels. Le café est correct. J’étais resté sur le souvenir ancien d’un établissement suffocant infusé dans le tabac mais l’air y est maintenant clair et sonnant dans les aigues avec l’effet de la clim. Fond de jazz sur cliquetis et bruits mécaniques qui rappellent un bar tabac. C’était un lieu de rencontre d’écrivains dit l’histoire. Aucun livre en vue.


L’uchronie discrète qui ne change pas le monde, ne le dérange en rien. Soit un personnage, de préférence ayant existé quitte à avoir crever la fiction, un qui présente de manière assez banale un creux, un trou dans sa biographie, dans le style :


... sur l’année 1xxx, on a très peu d’éléments sur sa vie. Une étrange amnésie d’une année ouverte à la conjecture. Où était-elle? Que faisait-elle?


Uchronie autour du voyage incognito ailleurs, qui n’a pas laissé de traces ...


... qui ouvre des perspectives discrètes sur des possibles hypothétiques ...


... qui ne dérangent en rien les cours des mondes. La chronique conjecturale des absences.

Ces derniers jours, les nuages sont les personnages principaux. Aux abords du tram à Arakawa, sur cette droite qui jouxte le parc artificiel suspendu, avec en contrebas la route qui s’élargira, la mise à nue avancée de la perspective conséquence à la disparition progressive du bâti en vue d’étaler la chaussée, a pour conséquence d’intensifier le fantastique d’un des coins les plus fantastiques que je connaisse à Tokyo.  Pas loin, la façade de la Clinique orthopédique Arakawa prouve qu’il est possible de bâtir pas moche.

Dans le métro, une campagne finaude et d’une grande ingéniosité. Il fallait y penser. Poser son sac sur le porte-bagages.