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Pâtisserie impériale (extrait)



A l’EPHAD 2. Et ensuite, on va au petit restaurant italien où l’on avait abandonné l’idée de réserver quelques jours auparavant parce qu’à l’autre bout du fil c’est très obtus raide du col et pas vendeur pour un sous, alors que sur place tout est différent et très aimable, à croire que ce sont d’autres gens dont il s’agit. Alors le jour J à l’heure H, on risque sa chance. On a de la chance justement comme on y trouve exactement deux places, au comptoir, ce qui nous est annoncé comme si souvent au sujet des places aux comptoirs des restaurants de petit calibre pas japonais avec ce petit air de malaise comme si de crainte de recevoir un avis de refus de notre part, comme s’il s’agissait de signaler que les places sont situées à côté des toilettes ou de la porte à deux battants qui battent en permanence de la cuisine qui ici n’en a pas. Il y a un mystérieux malaise associé aux comptoirs, où persistent ici les séparations de plastique translucide dont l’objet n’est plus du tout sanitaire mais de l’ordre de - des psychologues ne sont pas sur les lieux - la promiscuité-malaise avec des inconnus qui est depuis le virus - mais selon les quartiers et attitudes et situation très nuancée et sans aucune logique. Les mêmes vont se coller à vous à Dream Coffee chacun le regard ailleurs qui dans un wagon à moitié vide vont soigneusement s’assoir à distance.  L’autre mystère est la bande son, brésilienne, Vinicius de Moraes pur jus en version originale, un délice. Ailleurs en Italie restaurative connue, c’est souvent de la salsa, jamais de la pop italienne. Mais bon, le steak haché façon hamburger sans son pain était aussi italien que moi Milanais.

Et puis avant de partir, on se remémore la Pâtisserie Impériale juste à côté, fermée maintenant et définitivement depuis quelques années, qui ne demeure sur Google Maps mais que pour l’usage exclusif de ma nostalgie privée que parce que je refuse de retirer le petit coeur. On devine mais on ne veut pas y penser de ce qui est advenu de son propriétaire, ex-pâtissier à l’Hôtel Impérial qui tenait dans ce coin provincial de Tokyo mangé par le pire des péri-urbains - celui qui stérilise ce qui était à l’origine une belle campagne indépendante de Tokyo - une pâtisserie donc avec des recettes figées dans les années 60-70 avant le Paris-Brest, adaptation locale d’une vision occidentale des gâteaux, mais assez sophistiquée tout en demeurant artisanale-familiale, avec comme modèles ces gros gâteaux ronds parfaits pour y accueillir de fines bougies multicolores d’anniversaire. Et c’est sans s’étendre sur cet intérieur de boutique sans aucun apprêt - les frigos professionnels et la table de confection au fond, les cercles à gâteaux en pagaille - qui nous avait rappelé dès la première visite  avec un spasme de nostalgie des échoppes assez analogues au Portugal. Le pâtissier pas du tout de blanc vêtu et visiblement pas en bonne santé, silencieux mais très avenant - peut-être un post-AVC - ne manquait jamais d’ajouter gracieusement des parts de gâteaux supplémentaires à la commande, le tout à des prix très abordables. Ne reste que le bâtiment apparemment pas habité, le rideau de fer baissé et le flamboyant logo sur le mur latéral. Et puis le coeur rouge saignant sur Google Maps. 

Tout près sur cette sorte de rond-point jouxtant la station avec son air de ville très secondaire d’une région passe-partout d’Europe occidentale, à condition d’éviter du regard la seule bâtisse de style japonais dans le périmètre - une belle bâtisse en bois, totalement incompatible avec le réchauffement climatique - deux dames du coin d’un âge avancé - on m’a rapporté l’affaire - devisaient tantôt à l’ombre de la canopée d’un fort arbre unique au centre d’une place de village déserte sur la disparition de la Pâtisserie Impériale, soulignant un peu gênées mais juste pour le spectacle que cette nourriture là n’entrait pas dans leur quotidien fait de riz, oubliant ainsi que ce qu’offrait l’Impériale humblement, sans prétention, sans hédonisme C’estQueDuBonheur - et sans présentoir façon bijouterie, appartenait totalement au registre de la gastronomie japonaise contemporaine passéiste d’obédience occidentale recyclée à la mode locale. Les péri-urbains ont l’art et la manière de rendre leur péri-urbain mortel d’ennui en ne le fréquentant pas, sauf AEON pour la clim et la malbouffe bien emballée. Avant de partir alors que dehors il pleuvait étrangement un vague crachin, le patron du resto italien nous a fait la réclame d’un dîner spécial de septembre à octobre avec une ristourne automatique _parce que c’est la saison creuse_, nous a-t-il dit avec ce trait de franchise qui n’est pas du tout urbain.