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Autobiographie de 2025



Une réorientation tardive permet seulement maintenant la lecture de Bloodlands de Timoty Snyder. Jusqu’en 1989, les narrations étaient derrière le mur. Et donc la compréhension de cette époque bientôt centenaire constitue une progressive découverte contemporaine. 90% des goulagués ont survécu, donc lui oui, son frère non. Ceci est quelque part lié à cela mais en 2011, j’avais contacté sur un coup de tête l’auteur Edmund De Waal suite à la lecture de The Hare with Amber Eyes: A Hidden Inheritance, et en regard de Fukushima. Le lièvre, c’était 2010, Fukushima l’année suivante. Exposition d’un projet artistique en réponse à, retour instantanée. J’ai même retrouvé le mail. “Count me in!”. Et puis plus rien. Le projet n’aurait jamais abouti et j’imagine que la communication - barrage filtrant comme une concierge tyrannique derrière l’hygiaphone sans teint - intervint rapidement. Notes en bas du fichier : 


Inconnu

Ne sert à rien

Pas de pied-à-terre à Karuizawa. 


Il n’empêche que les premières pages de Letters to Camondo - traduit en français - dans la foulée de The House of Fragile Things de James McAuley - pas traduit en français, signe flagrant - intriguent. Cette blancheur - l’auteur fait penser au patron d’Apple, même teint de porcelaine passe-partout moquette corporate, mais là une personnalité à tout faire  : art plastique, écriture, colloques, toute la gamme présentielle. Et il s’adresse à Moïse de Camondo, par lettres fictionnelles. 


Et la blancheur, tient : 


Your house is so clean, so charged in its defences against dust.


L’épistolaire à sens unique - destinataire disparu de l’adresse investie - manque justement de répondant. Il n’y a pas de dialogue. 


- Cher Moïse, je réponds à vos remarques imaginaires dans votre lettre précédente.


Ecriture papier glacé, de placement. Jusqu’à ses enfants. Classiques clins d’yeux. Juste un monologue avec nombril et exposition du catalogue d’accomplissements. Qui explique la désenvie de poursuivre. Mais l’épistolaire intrigue, comme procédé. Et toi? Après 40 ans de Japon, tu as envie d’écrire à qui hormis ton nombril?

Tu vois, on peut écrire de Tokyo sans mentionner Tokyo. Ça aussi, c’est prendre des vacances. A peine quelques semaines après son arrivée, Miller écrit dans ses lettres à Emil sur New York.


The-Man-in-the-City Novel


Extrait de ce papier sur Miller et le Japon. European journal of American studies

Spring 2021 - Four Japanese in Search of Henry Miller, Wayne E. Arnold qui est professeur à l’université de Kitakyushu et chercheur dans la relation qu’entrenait Miller avec le Japon. Fascinant comme on écrit en cliquant un bouton.


“A significant point to bear in mind is that Miller never traveled to Japan. He made three attempts, even procuring airplane tickets; he did not depart, and Japan remained a land of intrigue for Miller. There are legitimate reasons why the trips failed to materialize, and then there are more romantic ideas that prevented his departure. With his rising notoriety, Miller planned his first trip to Japan in January of 1960 but was dissuaded by nearly everyone due to his dread of cold weather. After marrying Hoki Tokuda, he planned two additional trips only to be warned by his astrologer not to board the plane for the first trip, and for the second he was hampered by health issues that would have made the trip unbearable. For these later trips, the reality of culture shock was likely a deterrent, as even his beloved France was becoming intolerable. In my opinion, Miller allowed these travel efforts to be quickly abandoned since visiting Japan would potentially destroy the grandiose image of the country and culture that he had been building since his youth.”


On a donc ici le fil d’une potentielle micro-uchronie à coupler peut-être avec l’ouvrage traduit du danois en anglais de Finn Jensen intitulé Henry Miller and Modernism - The Years in Paris - 1930-1939 où le corpus analysé débute via les Lettres à Emil par Tropic du Cancer jusqu’au Colosse de Marousi. L’auteur ici crée un énoncé descriptif catégoriel - The-Man-in-the-City Novel - dont le Tropique est un exemple phare même si pas précurseur. En janvier 1960, Miller avait 68 ans et n’était plus depuis longtemps A-Man-in-the-City mais une sorte de campagnard sauvage ou entretenu ainsi avec vue sur  le Pacifique, la face de la terre opposée d’ici. Tout ce qui tenait du vitalisme qui déborde dans Tropic était entré dans la légende et la médiatisation, mais certainement plus du tout en rapport avec la dynamique assagie de l’individu en phase de devenir vedette de lui-même. Il est facile d’imaginer - mais très peu pour moi - un Miller accueilli à Narita par les flashs de la presse avec le lendemain une visite de Shinjuku avec l’écran à l’époque géant qui disparaît tantôt, peut-être même accompagné du futur Monsieur Americain comme poisson-pilote, celui de la future visite de la dame Yourcenar, peut-être même sollicité par une marque majeure de bière pour figurer sur … Sur la couverture du numéro 12 de la revue de l’Association Henry Miller Japon, on aperçoit peu clairement une reproduction d’une photo de Miller à 80 ans, sec chauve et sain comme un Japonais de cette génération là, Miller dans son salon en Californie en pull à l’anglaise avec derrière lui sur le mur le poster d’une exposition à Tokyo en 1968 de ses aquarelles. Petite affiche avec un Miller de trois quart profile encore plus japonisé qui tient quelque chose d’indistinct dans sa main. J’ai tout de suite pensé certainement à tord à un boc de bière, d’obédience allemande. 


Ce n’est pas engageant, mais la piste de The-Man-in-the-City l’est, en regard de Tokyo, étant donné que la ville décrite par typiquement l’homme blanc de passage lettré était systématiquement - Angela Carter exceptée? - jusqu’à très récemment une affaire de mâle, de mansplaining sur le Japon. La vaguelette de littérature francophone au moins et surtout d’adolescence étendue par le voyage initiatique au Japon, le port du kimono comme summum du cosplay - Japon, l’Inde du moment - semble être plus égalitaire sur le point de vue du genre des auteurs qui se complaisent dans un pays puissamment inégalitaire sur cette dimension, et pour ce que j’en ai lu, pratique le nombrilisme générationnel coutumier. Miller est mâlement intemporel, jusqu’en 1938 formidablement urbain, mobile et carnassier. A qui ces trois épithètes peuvent-ils s’appliquer ici aujourd’hui?