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A l’EHPAD




Dans le train. J’espere qu’ils les amènent à la piscine les mômes et pas à crapahuter comme des perdus. Il n’est pas nécessaire d’aller à l’Acropole pour tomber dans les pommes sèches de l’insolation. Ils elles ont moins de 10 ans, rose pour les fillettes, bleu pour les garçonnets. Les accompagnateurs et accompagnatrices ne portent pas de chapeaux.Courage.

Arrivée à l’EHPAD sur la colline. Chaleur massue qui sera pire au retour. On a débarqué un peu tôt. Peu de voitures dans le parking. Avant même de pénétrer dans le bâtiment, on m’indique cet indice vraiment peu remarquable, une petite lanterne de papier blanc sans aucune inscription suspendue au-dessus du porche de côté, qui signifie qu’un résident est devenu une divinité. Ce n’est pas une visitation façon l’ange Gabriel, mais bien le passage de vie à trépas qui fait d’un humain un esprit. Ceci est d’une grande solitude si les esprits ne viennent pas à votre rencontre.

`Le Monde a donc un chroniqueur blanc moine boudhiste au Japon qui est descendu de sa montagne pour s’installer à Kyoto où le plan com est bien plus facilement gérable. Le dernier épisode cite la Japan Expo - vitrine de "la culture japonaise" mais a pour sujet "la passionnante histoire du saké japonais". Moine-influenceur samouraï saké. A-t-on retiré le verre des lèvres de Ryoko Sekiguchi? Et quoi? Car quoi? Y a-t-il une honte quelconque à mentionner sur sa carte de visite "poétesse-influençeuse"? Je n'écris pas "on aura tout vu", qui serait une manière d'avouer ne voir qu'un arbre de la forêt. Tout se tient dans l’ordre des choses de cette passion si française pour le Japon, ici volet commerce agroalimentaire international.`
`

`A quand la passionnante histoire du vin de messe? Pour les écoles coraniques, il n’y a rien à boire? Thé à la menthe?`

`Le stade suivant est de faire passer cette soif d’ésotérisme dans le giron du luxe. Ça n’est qu’une question sémiologique bientôt résolue à tester et à affiner.`

Je zenne, donc je suis. Ou peut–etre “zène”, du verbe zéner. Donc je suis.

Heureusement qu’ici dans ces lignes, seule l’écriture à Tokyo m’importe.

####Je craignais cette visite à l’EHPAD. 

C’est l’avenir. Le mien aussi. Le votre aussi. chatGPT ne changera rien à l’affaire.

La chape de tristesse peu visible d’une majorité d’adultes qui ont à charge des parents du quatrième âge et pas nécessairement les moyens de les placer dans des institutions au nombre inadéquate. Celle là, vous ne la voyez pas, vous ne la sentez pas. Pendant ce temps, un crétin sur Journal du Japon compile un article docte qui sent son chatGPT - conséquence soit de l’usage de l’outil, soit par mimétisme de style déjà acquis - sur la dénatalité de son cher pays affabulé avec des tirades copiées ailleurs sur les moyens pour sa nation qui l’ignore de sortir de l’ornière. Comme quoi la passion et la bêtise de l’aplomb roulent sur les mêmes rails.

Au retour on louvoie dans l’habitacle sauna, mais comme elle connaît bien son affaire, on évite de peu l’infernal bouchon qui enfle sur la voie opposée avec un nombre remarquable de voitures se dirigeant vers l’AEON pour s’y réfugier dans la clim massive et les fastfoods qui occuperont les gamins et les gamines. On déjeune dans ce resto années 70 qui n’est jamais complet et offre une certaine idée de l’Italie des années 70 à Tokyo, c’est à dire pas italien.  Ils font petit-déjeuner depuis tantôt. Le menu ne mentionne pas le menu. Juste les horaires. De retour dans l’habitacle, la température est idéale pour déplier la passionnante histoire des onsen-tamago. Au petit-déjeuner un jour, on amènera les oeufs.

####Ce n’est pas Tokyo, ce n’est pas mon Tokyo.
####Prendre le maquis en ville

Google Maps Immersive View va imposer toujours plus la vision massive du sightseeing en mode touriste comme je ne pratique ni ne veux voir la ville. L’appli me dit que j’arpente en moyenne 250 km à pieds par mois dans cette contrée. La ville médiatisée n’est pas ma ville, ni même dans les quartiers médiatisés.  

Et partant, la sauce IA-RV va accélérer la globalisation banalisation des destinations. Là aussi, il est temps de prendre le maquis en ville de façon lucide, travailler ses pratiques au plus près pour en ressentir encore plus les motivations et fondements. 

On m’a fait savoir que Quelqu’unAditSurTwitter (donc c’est une opinion experte) qu’il faut absolument rendre visite au Shin-Yurakucho Building - Shin 新, donc nouveau donc bientôt mort - parce que sa démolition approche. En fait, je le connaissais vaguement et l’ai traversé plusieurs fois, situé tout près de l’incontournable immonde BicCamera, façade à petits carrelages gris noir, fenêtre identiques comme calquées sur le dessin d’un écran de tube cathodique, la télé d’antan qui était lors de son érection (ce n’est pas salace) une forme sémiotique synonyme de modernité. Mais avec la distance dans le temps, le premier lien de parenté qui me vient à l’esprit à la vue de cette façade qui se distingue du contemporain prévisible est du registre de l’hôtel capsule,  où chaque fenêtre ferait figure d’une chambre sarcophage.

Si j’avais cet annonceur commentateur prescripteur invitant à aller voir l’immeuble entre les deux yeux, je lui demanderais de les ouvrir bien plus grands pour constater avec lucidité que ce qui importe lors d’un passage dans un tel immeuble - aller au sous-sol et se payer une tranche de vintage avec une larme à l’oeil - est déjà mort depuis longtemps. Très peu de restaurants, plein d’espaces commerciaux fermés, d’autres dédiés à une école culinaire ou une école de formations diplômantes en finance. Je me casse dare-dare et vais à Shimbashi où deux fameux immeubles de la même époque eux aussi condamnés sont encore plein de vie, avec du vintage propulsé dans le présent du quotidien, ce qui évite la scène lacrymale pavlovienne.

Dans le Financial Times, le chroniqueur Simon Kuper, brode sur le titre “ Tourists are back. Is it time to tell them to stay away?”. Cette phrase dans le corps du texte m’interpelle :

“ But it’s true that most tourists struggle to merge seamlessly into the city.”

Mais depuis quand le touriste cherche à se fondre dans le paysage à destination? Vestimentairement parlant? Ou d’un point de vue de consommation? Il est grand temps de passer à une autre lecture et écriture du phénomène touristique et cesser de gloser sur la chose en mode essayiste économique, mais ramener le sujet à soi. Car la question est bien de comment être à Amsterdam ou Venise ou Tokyo, hors le mode touriste. La macro-économie de la question doit être laissée aux agents de la chose qui, y compris les “chercheurs”, ont tous un doigt dans le pot de miel. Enfin, pas tous. Lisant le disparu passionnant John Urry sur la question, je découvre que l’analyse sociologique honnête exposait il y a déjà 20 ans la situation qui est devenue commune aujourd’hui. 

Une idée : la ligne JR Sôbu a-t-elle un quelque chose de similaire avec le S-Bahn de Berlin? Juste une idée.


Et merci à tous les lecteurs qui me suivent à Singapour.