Performativité non-spectaculaire de l’élève d’école élémentaire sur le quai des Shinkansen de la gare de Kyoto

A Wakayama. Photo sans rapport aucun avec le texte, sauf pour l’auteur. Reflet d’une vitrine d’un marchand de kimono dans une ville vide. Se trouvaient peut-être autrefois du temps de la ville vivante quelques geishas.


Lieu : les quais 11-12 de la gare de Kyoto, celle des trains à grande vitesse.

Heure : 16h passées de peu avant départ à 16h16.

Ce qu’il y a de remarquable : un petit seul en tenue d’écolier chapeau jaune joue à maîtriser l’espace et le temps, deux dimensions du cache cache. Il pénètre par la porte du wagon 7 de la rame lente en attente sur le quai 11 pour ressortir illico par celle du 6. Il est profondément dans ses pensées comme on l’est à 9-10 ans, la pensée je-jeu à ras-bord du transgressif ici très auto-contrôlé. Le même en complet cravate serait pris pour un fou. Lui n’est pas remarquable parce que sa performance n’est pas située dans le spectacle. Il n’appelle pas les regards. Il ne s’expose pas. Il est juste exposé. 


Il y a donc des enfants qui vont à l’école à Kyoto qui prennent le Shinkansen de 16h16 pour descendre à Nagoya à 16h51. Non-contrainte de la carte scolaire inexistante offrant des occasions de performativité plus intéressantes que le dit-social de cette mobilité scolaire de l’enfant qui joue a se faire peur avec maîtrise, parce qu’il est encore 16h04 et que le train qu’il ne prendra pas ne part qu’à 8, spectacle qui m’est du plus grand intérêt que le paysage et la performativité des adultes sur le quai. 


La performativité de l’adulte est contrainte dans ses modes d’occupation de l’espace et d’usage du temps, comme de ses parures du moment historique. Des barbus nabuchodonosoriens en teeshirt bermuda avec leurs compagnes souvent petites, comme on dit en anglais. Il me semble qu’il existe une tendance d’association majeure entre grand nabuchodonosorien et petite blonde comme on recrute les femmes d’expats blancs sans la barbe plutôt dans la blondeur. Mais c’est juste une impression. 


Quinze années plus tard, la barbe a tombé mais pas le bermuda teeshirt, uniforme comme un autre du migrant de passage, tout comme celui de l’écolier qui traverse le wagon d’un pas rapide, routinier, peut-être un brin blasé à la Simmel, autre barbu. A 16h51 sur le quai, le gamin sera à la maison avant 17h30. Peut-être que maman l’attendra à la gare. Timing parfait.


Lieu : le parvis des bus devant la sortie principale de la gare de Kyoto où la signalétique touffue comme une jungle a de quoi dérouter.

Heure : un peu après 11h17.


D’abord trouver son bus, possessif illusoire. Certains sont bondés comme bondé. D’autres peu bondés comme peu bondé. Ne pas s’asseoir parce que suffisamment assis depuis Wakayama. Grand virage à droite puis droit sur l’avenue Shiokoji. Virage à gauche après la tour Nidek puis direction nord le long de la large avenue Karasuma. 


Que vous avez de grandes avenues à Kyoto! C’est pour mieux te glacer mon enfant. 


Le scan d’une photo du territoire à main droite avant que de tourner avec une grue de construction au milieu de rien devrait permettre après analyse automatique de tracer une hypothèse d’un lien entre proportion du ciel dans le champ de vision et effet glauque. 


Que cette ville dans ces parages est d’une froideur grise singulière. Sans exclamatif, sans chuchotement. Juste une confirmation. Le gris des avenues y est massif. Le premier grand temple est à chaque fois un choc visuel, un écrasement.  

Se construire une géographie mentale d’une destination juste parfois fréquentée et tester en chemin ce qui fait bornes de reconnaissance à soi dans l’espace parcouru. Le visuel de l’espace se confond parfois et clairement avec l’exercice répété antérieur d’avoir observé des heures durant la carte. Cette superposition produit des effets intéressants qui nourrissent clairement le sentiment de familiarité possible par la connaissance de morceaux de territoires restreints dans une ville qui n’est pas sa résidence. Intéressante banalité de l’espace végétalisé sur le flanc est de la douve en L inversé du Higashi-Hongan-ji.  


ChatGPT n’a rien trouvé d’accessoirement tordu sur le questionnement absent de l’évidence qu’il y a à marcher en ville selon un rythme touristique chez le touriste dont le plus clair du temps diurne semble être partout consacré à la transhumance. Je me pose la question très sérieusement, sur la dose d’impensé que contient cette pratique performante mondialisée, sur ce que sont les possibles d’attitudes autres une fois reconnaissance acquise de la massivité de cette façon d’être ailleurs. 


Clin d’oeil topographique privé entre Kawaramachi Gojo et Kawaramachi Matsubara, là où la ruelle Teramachi part d’abord en petit coup de coude vers le nord à peine excentré d’une touche d’ouest vers des territoires inaccessibles ce jour. Ces moments de reconnaissance renforcent la familiarité. Sentiment seillant au bord de l’émoustifiant.


La grisaille du territoire automobile massif est une signature visuelle de ce Kyoto là. C’est Detroit in my mind.


Autre moment clin d’oeil important quand le bus ne fait que traverser l’avenue Shijo et que se profile très brièvement dans la perspective l’immeuble historique si singulier où se trouve le café restaurant Kikusui qui sera pour plus tard. 


Arrivé au niveau de la mairie, le bus tourne à droite le long de l’hôtel Okura et marque une pause qui permet d’admirer sans rire cette pièce d’eau oblongue qui sépare la chaussée, d’un bleu turquoise d’obédience piscine parfaite. Une idée du directeur des sports, ou d’un moniteur d’éducation physique. 


On peut acheter ses boissons alcoolisées au Yamaya. On peut acheter ses crackers de riz plus loin. 


Le passage sur la rive opposée de la Kamogawa est suivi d’une brève glissée plein sud. Parcours en bâtonnets amusant. Projet avorté de jeu de société avec des bâtons en bois. 


Cela se décante un peu à partir de Higashiyama-sanjo. A quoi bon ces traits d’union?


Dernière foulée plein nord puis descente à l’arrêt suivant Jingu-michi, celui-ci d’un nom tellement plus court que mon arrêt, ce possessif risible. 


Lieu : Gion

Heure : plus tard


Je n’ai pas noté sur le moment si le bus vers Gion était bien le 86 pérecquien. J’ai tout juste pris le bus suivant qui collait celui bondé sans regarder précisément où il allait, l’objectif qui ne sera pas mené à bien étant de rejoindre la mairie pour s’offrir une nouvelle fois la traversée de Teramachi avant que de repartir à Kyoto. C’est là que s’est affiché sur le panneau l’arrêt suivant, Gion, mot-clé, mot carillon en mode mineur, et la décision intempestive de descendre. Mais juste avant s’est profilé sur la fenêtre de gauche le nom du temple Yasaka, qui a provoqué une sorte de déploiement à la façon livre popup d’un paysage où des éléments éparses se sont instantanément combinés comme une suite de chiffres qui enfin provoquent l’ouverture du loquet qu’est l’accès au sens géographique, ce moment ha! ha! c’est à dire d’abord ce sentiment d’un rétrécissement bienfaiteur du territoire - ce n’était donc que cela ! -  ressentir comme si dans sa poche la proximité de ce temple avec l’avenue aux trottoirs à auvents, un quartier devenu maintenant proche mentalement au quotidien très éloigné malgré la grisaille et la petite pluie du moment qui en rajoutent de désaffection calme. En pensées, le théâtre du mois dernier, les ruelles où il n’y a pas le temps d’aller voir comme la priorité est de marquer le coup par un passage à Kikusui sans liste d’attente à cette heure là, comme escompté.   

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