L’usure des petits mondes
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La traversée. |
Alexandre Gefen dans Vivre avec chatGPT parle de vulnéralibilités linguistiques et d’”“une hiérarchie entre ceux qui peuvent et ceux qui ne peuvent pas payer une vie linguistique augmentée (qui) risque d’émerger.” Qu’est-ce qu’un modèle américain ou américanisé devient, basé sur l’évidence totalitaire du dialogue avec aplomb et nombrilisme dans le pire des cas, ou dans le meilleur, quand la joute rhétorique demeure et est transmise, une fois transposé dans un contexte culturel tel que le Japon - pas le seul - où le dialogue quand il est présent est bref et dénué d’introspection, les questions rares et ultra-formatées - et le savoir poser des questions surtout absent?
L’usure des petits mondes. A Koenji, le patron dépérit mais continue à servir. Il se tient de la main droite de plus en plus souvent posée sur sa joue droite comme pour la soutenir, alors que sa tête tend à s’affaisser. Rien ne dure, cela ne durera pas. A Machiya, le patron marche précautionneusement dans sa boutique qu’il ne quitte jamais, deux mètres à peine entre derrière le comptoir et la table au bord de la fenêtre lumineuse comme une photo des années 60 prise dans une petite pension de campagne, rideaux de dentelles, fleurs artificielles, mignardises de petits objets surtout en plastique de celui qui demeure longtemps. Chaussé de crocs, il ne touche le sol de son pied droit que de la pointe. La hanche est touchée. Il déploit le journal sur la table, d’abord assis, puis rapidement debout pour son confort. Pas de signes de douleur sur le visage. La seule cliente qui sirotait son thé vient de partir. Les habitués matinaux ont été sans doute très matinaux ce jour. Calme après le coup de feu très relatif. Sur moins de 30 mètres s’alignent deux cafés sans doute du même âge ancêtre qui, hors les week-ends où les visiteurs en quête de bon vieux temps exposent en intérieur des visages charmés mélancoliques, soutiennent encore le voisinage dans l’ordinaire des jours de semaine. Les lieux de socialisation dans ces territoires où les personnes visibles sont rares, sont d’autant plus facile à discerner. A Minowabashi, au sous-sol de la boulangerie, on entend dès le matin les voix chevrotantes des adeptes du karaoke diurne. La vie en sourdine un brin plus énergique à l’heure des courses est partout mais très diffuse.
Dernières fraises de Chiba, celles-ci qui n’ont que peu de goût mais aussi une pointe d’acidité bienvenue, mais à 350 yens la barquette pour des fruits aux tailles multiples mais sans défaut sinon que ne pas répondre à l’exigence fabriquée du très sucré, elles sont suffisamment bonnes. Une grosse tête d’ail nouveau qui coupé au milieu dans l’horizontale et grillée est supérieure à ce sur quoi un ex-financier tombé dans la restauration hédoniste peut gloser.
Dans la galerie marchande, la petite boutique de glaces propose des glaces qui ont le même goût que celles d’autres petites boutiques de glaces où officient des personnes ayant appris à faire des glaces dans la même école de formation qui fournit via les commerces du secteur les mêmes ingrédients suivant les mêmes recettes dans des ambiances intérieures similaires. Seul le nom de la boutique se distingue. De nouvelles maisons individuelles se construisent le long de cette galerie marchande, faisant disparaître le pas de porte commercial, espoir de nouveaux marchands justifiant l’énoncé “galerie marchande”. Apparemment, aucun réglement dans ce lieu-ci ne conditionne la reconstruction sur ces petites surfaces d’immeubles offrant nécessairement un espace commercial au rez-de-chaussée. L’équilibre entre façade commerciales, y compris celles au rideau baissé, et façades aveugles de maisons individuelles à la Playmobile, est encore favorable au commerce.