Une farouche volonté de performer l’ancrage
S’il est un trait assez commun parmi les rares écrivants visibles en tout cas allochtones au Japon ou associés,c’est l’évitement de l’autre rare écrivant visible en tout cas allochtone au Japon ou associé. Qui a-t-il de plus intéressant hormis les autres qui écrivent aussi sur eux? Pour faire d’eux un pluriel, ça n’est pourtant pas compliqué. Mais déjà dans le texte sur la métropole de Georg Simmel (1903), l’individu est situé à fond dans sa dimension de monome massif. Quelques minutes à visionner The Crowd de King Vidor. Les vues de New York en marche sont époustouflantes.
Disparition d’un colloque sur l’autobiogéographie. Un bel intitulé. Peu de traces déjà.
Qui n’est pas des cénacles a maintenant deux choix : ignorer, ou piller. Pillons.
Combien sont ou ont été dans la pratique de l’autobiogéographie sans pouvoir ainsi la nommer? Dans l’écriture amateure, cela doit se compter en divisions multiples. Langage militaire. Et donc existe des savoir-écrire considérables.
Passer à l’âge supérieur est aussi affaire d’autobiogéographie, par exemple de cette lucidité vrillante sur l’absence de nostalgie au Japon, du Japon. 40 ans de Tokyo, pas de nostalgie, peut-être parce que ce qui domine est la pratique des lieux. Là aussi, il y a filon académique au risque de s’y noyer. Et donc, piller et partir fissa avec le butin dont une partie jonche la steppe d’objets à l’usage peu clair tombés des sacoches bourrées à craquer de ce qu’il y avait à voler sans trop réfléchir. Le cheval harnaché courre vaillant vers des territoires d’écritures. Le cavalier regarde ailleurs, ou peut-être y est-il déjà.
Claude résume ainsi un texte de Mathis Stock, géographe. Il est plus intéressant de lire l’original.
“L'habiter comme pratique des lieux géographiques
L'article propose une nouvelle approche théorique pour comprendre la dimension spatiale des sociétés humaines, centrée sur "l'habiter" défini comme pratique des lieux géographiques. Cette conception s'inscrit dans un double contexte : d'une part, l'intérêt croissant des géographes pour les significations assignées aux lieux depuis trente ans, et d'autre part, l'émergence d'une "société à individus mobiles" qui transforme les rapports aux lieux.
L'auteur critique les approches qui privilégient uniquement les représentations et l'imaginaire, et soutient que l'étude de la "géographicité" doit s'insérer dans l'analyse des pratiques concrètes. Il redéfinit l'habiter en s'écartant de la vision traditionnelle (limitée au domicile) et de l'approche heideggerienne (rapport cosmologique à la Terre) pour se concentrer sur les manières dont les individus pratiquent une multiplicité de lieux.
L'article développe trois niveaux d'analyse :
1. Les "pratiques des lieux" : manières spécifiques d'interagir avec les lieux
2. Les "modes d'habiter" : façons dont les individus relient et investissent différents lieux
3. Les "régimes d'habiter" : modèles dominants des relations aux lieux dans une société donnée
Cette théorie de l'habiter permet de comprendre que les mêmes lieux peuvent avoir des significations différentes selon les pratiques et l'intentionnalité des individus. Elle met en évidence le passage d'un "mode d'habiter mono-topique" (centré sur un lieu unique) à un "mode d'habiter poly-topique" (mobilisant plusieurs lieux), caractéristique des sociétés contemporaines à forte mobilité.
Cette approche résout l'opposition classique entre espace et société en pensant en termes de dimensions spatiales des pratiques, et permet d'adopter systématiquement le point de vue de la mobilité plutôt que celui de la sédentarité, tout en reconnaissant l'insertion sociale et géographique des individus.”
Fissa :
Habiter dans l’impermanence.
Méthode : étiqueter quand bien même de passage très bref la performance d’y être comme une forme d’habiter. Y laisser des traces mentales, y réunir des miettes en passant - Le Petit Poucet V 3.0, ce n’est pas que de poser des cailloux, mais en ramasser … et aussi, et surtout … en inventer. Ne pas hésiter à entretenir le flou, l’approximatif. Tâtonner n’est pas clair, par définition, et c’est bien ainsi. Les essuies-glaces de la lucidité ne sont pas une priorité dans la liste des options.
Une autre dimension de l’habiter qui est du domaine de la littérature est un habiter mental, le penser à d’autres lieux muni d’outils pour ne pas en faire qu’une expression de nostalgie pure et usante, mais une nostalgie dopée aux intrants multiples qui l’actualisent en la rendant ainsi prégnante de possibles.
Il est une farouche volonté de performer l’ancrage - le titre! - et déveloper le sens d’une familiarité comme forme compensatoire du savoir implicite que le paysage n’est qu’un terrain de je essentiellement vide. Ce qui reste de non-factice est l’envie d’une nostalgie localisée dans des lieux sans souvenirs. On en revient à Perec, mais en sens inverse : il y a lieux mais pas de souvenirs, pas par amnésie, mais parce que des lieux en manque de souvenirs, dénués d’attachement. Comme le noeud d’un lasso qui glisse sur une surface sans y trouver un point d’ancrage, on répète en boucle la manoeuvre vaine.
On ne peut dès lors et donc travailler que sur l’attachement sous la forme de performances, synonymes de points d’ancrage, la performance fondamentale devenu monomaniaque en masse étant hélas la marche, performance au final vaine dès lors qu’elle se situe dans des contrées à jamais dénués d’affects anciens, ceux de l’enfance. Il faut y faire autrechose.
Tu es allé à Kyoto tantôt? Qui as-tu performé?
Pour qu’il y ait potentiel d’ancrage même fabriqué, il faut limiter l’espace et mettre en scène à soi des moments statiques pour y déployer ses performances. D’où la similitude, en l’absence de questionnement sur le quoi performer in situ, de ce qui est montré en particulier en photographie du marcheur urbain, cette recherche du corrodé de surfaces, de l’âbimé, du rèche visuel, avec systématiquement l’absence de personnages croisés, rencontrées, avec lesquels s’est crée un moment de rapport. Vu deux références à Joyful de Minowabashi où dans les deux cas, les auteurs ont réussis à ne pas noter le café Papa Noel, lieu de rencontres par excellence, et pas seulement lieu de commerce.
Je ne me souviens - pas - avoir passer un temps long suffisant à Kyoto ou Lisbonne pour y développer une familiarité banale sans y avoir habité. Pourtant dans les deux cas, le sens de la familiarité s’est construit sur des espaces ténus et brefs moments de rencontres, et de poses statiques dans l’espace public. Se contenter de chercher à mobiliser les souvenirs ne suffit pas comme il y a des outils pour les mettre à jour, et donc en contrastes temporels.
Cité dans le texte d’introduction de Michel Collot à l’autobiogéographie - le thème de ce colloque qui n’est plus - l’extrait suivant :
“Bachelard proposait d’associer à la psychanalyse, telle qu’il l’entendait, en un sens très large, une topo-analyse, conçue comme l’« étude psychologique systématique des sites de notre vie intime. » ; et il mettait l’accent sur la « localisation des souvenirs », qui sont situés dans l’espace aussi bien que dans le temps : « Dans ce théâtre du passé qu’est notre mémoire, le décor maintient les personnages dans leur rôle dominant. On croit parfois se connaître dans le temps, alors qu’on ne connaît qu’une suite de fixations dans des espaces […](#). Dans ces mille alvéoles, l’espace tient le temps comprimé. L’espace sert à ça. »”
Sauf que, le théâtre du passé est aussi un théâtre du présent, autant maintenant qu’hypothétique, autant situé géographiquement et simultanément dans au moins deux lieux. On m’appelle d’Avignon. Sur l’écran se profile au fond un paysage, un ciel qui dit des choses. Où suis-je alors?
Lu sur Topophilie :
« La topophilie est l'art raffiné et permanent dont fait preuve chaque être humain en donnant du sens à l'espace où est son corps afin d'en faire un lieu où loge son âme. »
topophilie | 13 novembre 2019
La topophilie selon Laurent Demarta
Oui et non, plus que cela, car il s’agit aussi de donner sens à des espaces où le corps n’est pas, n’est plus, pourrait y être, y sera peut-être tantôt, pour y faire lieu et y faire habiter sa pensée, puisque dans l’habiter se trouve justement la mobilité physique et mentale.
Une image marquante de la semaine passée : la vue de la tour Tsutenkaku à Osaka dans une lumière comme de novembre à travers la vitre du wagon, vision fugitive plus tard articulée avec la carte où figurent quelques points adjacents trop brièvement fréquentés autour desquels il s’agira une prochaine fois de performer pour y construire les éléments suffisants à une sensation d’attachement.
Passage à ce qui était Dream Coffee à Ikébukuro, excorié de tout hormis le comptoir, maintenant salle de location événementiel où ce jour s’exposent en pleine vue de la rue - les portes et les vitrines aussi ont été retirées - de petites choses, objets, doudous, impropres à la compréhension, tandis que les 25 ans sur place ne parlent qu’entre eux. Dream Coffee est enfin devenu kitch. Une jeune femme est derrière le comptoir. Il n’y a pas de boissons.