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Tokyo intranquille


La confirmation d’un ressenti sourd, soucieux, intranquille quand évoquant certains quartiers de Tokyo a été confirmé le 1er janvier autour de la table du dîner un peu tardif comme on avait déjeuner après 14h30. Cette confirmation vaut son pesant de fantômes qui a été le sujet de départ auquel je n’ai fait qu’écouter. Puis la pente a glissé soudain vers les zones molles et nauséeuses de Tokyo vécues par J devenu ces temps-ci intarissable. Ses compétences en zones glauques n’ont rien d’académique. Elles sont le résultat de l’accumulation de choses vécues sur le terrain en tant que contremaître vétéran de chantiers de nuit. Une flopée de quartiers se sont vus ainsi nommés avec force moues de répugnance, tout ceci articulé sur un point de vue proche du mien - confirmé par une horde de travailleurs de chantiers urbains - même si pas énoncée de la même manière, à savoir qu’il n’est pas nécessaire de croire aux fantômes et aux spectres pour sentir quelque chose qui vibre quelque part entre le petit relent et le franc malaise, c’est à dire quelque chose approchant mon argument qui date maintenant que les fantômes et les esprits n’ont pas besoin de ma croyance pour exister. Je n’y crois pas tout comme J qui en a vu plein sans y croire. Leur besoin d’exister n’est pas mon problème. Qu’ils se débrouillent. Que quelque chose du malaise sensible et vibrant existe indépendamment des croyances participe par contre au vécu par multiples passages dans les quartiers vraiment urbains de cette ville. S’en trouve renforcée la dimension de coexistence singulière au quotidien du pragmatisme et de la pensée magique. 

Il y a donc sans nul doute du néfaste dans l’air de nuit comme de jour dans certains quartiers au sujet desquels on a tous été d’accord avec des exclamations de surprises à se trouver ainsi à l’unisson. La liste est longue mais de mémoire, tout ce qui relève du grand sud de Shimbashi en a pris pour son grade de nauséeux, la colline d’Atago, Kamiya-cho et Azabu-dai - bien fait pour Azabu Hill qui d’après les échos ne se remplit pas. Qui veut habiter même riche et hors-sol au sud-est de Roppongi? Le Zojo-ji bien sûr et la partie latérale à l’est comme retenue à bout de bras par Hamamatsu-cho, le spectral carrefour Iikura, les hauteurs de Ark Hills, l’insondable malaise autour de Toranomon ressenti bien avant déjà l’érection de l’effroyable tour Toranomon Hills - tout ce qui est Hills est apparemment hanté, et il est remarquable de constater qu’à chaque fois, le bâti contemporain ne fait qu’intensifier les grincements et miasmes de lieux historiquement troubles depuis des temps anciens, avant le béton. 

Akasaka sans surprise, truffé d’après J de semi-sous-sols humides et moisis, n’est pas sorti indemme de l’acte d’accusation. Un lieu remarquable et innommable a aussi été mentionné avec précaution que je ne citerai donc pas ici. On s’est détourné sans surprise vers Asakusa, pour moi le nord du Sensoji en premier, et à peine dans une moindre mesure Kappabashi et la portion ouest en direction du nord de Ueno parcourue en long et en large dans un vibrato sourd signature de quartier et permanent. Paradoxalement tout le monde a été aussi d’accord pour ne trouver aucun esprit sournois à Shibuya, et sans surprise, Koenji n’a pas évoqué la nécessité d’un exorcisme. Le Yasukuni lui a été déclaré en très bonne connaissance de terrain totalement irrécupérable, hanté jusqu’au tréfond. L’urgence est de lire à fond l’ouvrage de Timon Screech - Tokyo before Tokyo - Power and Magic in the Shogun City - où l’axe hanté du Sensoji jusqu’au Zojo-ji est explicité. La Sky Tree aussi est située dans un véritable territoire de malaise jusqu’à Kinshicho où il est impossible à chaque fois de se sentir calme. Ressentir ainsi les spasmes et vibrations géographico-spectrales du Tokyo urbain sans même connaître nécessairement les évènements historiques associés aux quartiers relève de la tectonique intime des couches infra et supra de la topographie des lieux.