Il ne faut pas écrire sur une cérémonie de crémation. Ce n’est pas un sujet. La famille ayant choisi une cérémonie sans cérémonie, nous n’avons pas eu droit au prêtre scandant de longues prières incompréhensibles au rythme d’un instrument de percussion. Peut-être une source de tension en moins. Nous n’avons pas eu non plus ce moment où tous les présents se saisissent de fleurs coupées pour les déposer dans le corbillard exposé. Le maître de cérémonie a fermé la lucarne n’exposant que le visage, il a attaché une étoffe blanche préinstallée aux extrémités. Il s’est produit une transition de la table fixe d’exposition du corps à la table de crémation, un mouvement harmonieux et automatisé de celle-ci vers l’intérieur du dispositif, la pression sur un bouton qui a déclenché la lente fermeture des battants du four tandis que tout le monde avait adopté une position de prière muette, mains jointes au niveau du visage, tronc un peu baissé, regard clos, je suppose. Quand on a eu une enfance baignée dans les fours d’Auschwitz, cette cérémonie, la première fois, était particulièrement éprouvante, d’autant plus qu’elle était bruyante de prières et de sons mécaniques, le bruit des brûleurs entrant en action.
Il n’est plus question de cela semble-t-il, au niveau auditif. La première fois quand on avait été appelé à la scène finale de saisie des ossements, le lit de crémation était clairement chaud devant la gueule béante d’un four noir. Cette fois-ci, aucun bruit, aucune chaleur, aucune portes béantes. Les os ont été disposés préalablement en trois groupes qui feront l’objet - ceci n’a pas changé - d’une série d’énoncés sur l’identité de chacun comme une leçon d’anatomie, avant que d’être soigneusement déposés dans l’urne de faïence avec des baguettes épaisses par le maître de cérémonie ganté de blanc d’un tissus épais.
Avant cela, nous avons procédé deux par deux à la saisie d’un ossement pour le déposer dans l’urne que nous tenait en biais le maître de cérémonie, moment tendu où il s’agit à quatre baguettes d’éviter tout impair.
D’où le tabou de la manipulation dans d’autres circonstances. Compris?
Le défunt n’étant plus, les ossements sont une sorte de sillage laissé derrière lui comme dernière preuve matérielle d’avoir existé. Ce qui explique sans doute que ceux-ci peuvent être l’objet d’un discours bref descriptif purement énonciatif, et même si dans la retenue et le respect, exclamatif devant le volume sensiblement important des ossements. Là ne me semble exister aucune source de récits fantastiques. Les esprits sont purs esprits ou pur rien.
Le 5 janvier a suivi le 4 sans histoires. Pure marche du temps. Retour à la normale des jours.