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Exégèse des rues


“Since your departure, an appalling edifice has opened at 57th and Fifth, the Trump Tower, a temple to crass materialism. It carries with it an implication of—Dallas, perhaps; or some brash, indistinct but organised arrangement for flaunting wealth. Trumpery Tower.”


10 septembre 1983, lettre de Shirley Hazzard à Donald Keene

Expatriates of No Country


#### La légitimité d’écrire


Ou la légitimité d’être une fourmie ne peut être octroyée avec magnamité que par le discours docte entomologiste de spécialistes de la littérature, s’entend, professionnels. Même dans des écrits contemporains d’analyses d’écritures amateures dit de “l’ordinaire”dénuées de condescendance - par exemple sur les journaux personnels publics - plus ou moins intimes ou extimes - publiés au creux de la vague de la covid - flotte un relent classique de eux versus nous. C’est de bonne guerre, c’est inévitable. Leurs référants au final restent toujours les auteurs publiés, ce qui est de bonne guerre - redite - qui relève de la stratégie de publiabilité, et pour la recherche, de l’indispensable référencement. 


C’est à corriger sans quémander, en écrivant, en se lisant réciproquement. En aparté, il est notoire de constater dans la littérature francophone de passage au Japon - typiquement les sélectionnés de la Villa Kujoyama - qu’aucun ne profite de son séjour pour se faire découvreur. Quand références il y a, ce sont celles portant sur les auteurs, photographes, architectes japonais de renom - traduits, valeurs sûres exégisées hors du Japon, qui reviennent en boucle. Un peu comme la stratégie de se refaire une biographie de Claudel au Japon comme méthode de se faire bien voir. Là aussi, c’est de bonne guerre de stratégie de publiabilité et donc de reconnaissance. C’est à corriger sans quémander, en écrivant, en se lisant réciproquement. 


#### Taxi de New York


Une très longue conversation avec S à New York, à chaque fois, comme si on se côtoyait au quotidien depuis des lustres. Son père a 91 ans, se traîne maintenant jusqu’au taxi jaune qu’il conduit encore et toujours. Il est très probablement le cabby newyorkais le plus âgé, plus âgé qu’un cabby très âgé tokyoïte. 


#### Je voudrais signaler


Je voudrais signaler à la BDP de la Mayenne que le livre de Laurence Caillet - La maison Yamazaki - est bien arrivé à destination à Tokyo. Le livre est dans un état parfait qui a été exfiltré peut-être en conséquence d’un réassort, une mise à disposition d’espace pour laisser la place à des ouvrages plus récents (La Belge? La bouffeuse de natto? La mysticienne du Nagori?), récupéré par un revendeur - est-ce la BDP elle-même qui revend? Si oui, très bonne idée! qui heureusement a eu l’autre bonne idée de ne pas retirer la carte de prêt numéro 128587 insérée sur la face trois de la couverture cartonnée emmaillotée d’un emballage de vinyl transparent fort qui rend l’objet résistant à presque toutes les attaques, fiche de prêt tout aussi nickel que le livre où ne figure aucun nom. L’ouvrage coûtait 220 F, une somme! 


#### Très fort…


“Cet objet qui susurre « Je vais te combler », comme il faut s’en méfier. Il faudrait prier pour que ce soit une fausse promesse, en tout cas se garder de la prendre au sérieux, et de se laisser engloutir par elle. Tel est en effet l’aporie de l’objet-0 : ardemment poursuivi mais qu’il vaudrait mieux, finalement, ne pas rencontrer. On dira qu’il n’y a pas de risque puisqu’on ne sait pas ce que c’est. Ou bien, si l’on sait, on sait également qu’on ne le retrouvera pas : la condition anténatale est définitivement perdue. Qu’on ne puisse jamais l’atteindre ne signifie pas qu’en certaines occasions de la vie, celles de l’amour tout particulièrement, on ne puisse avoir l’impression de s’en approcher de très près. Or le voisinage de l’objet-0 affole les instruments de mesure et dérègle les compteurs : plus l’on semble faire mouvement vers la félicité absolue et plus l’on se dirige vers l’anéantissement. Car : que voudrait dire, dans un usage sérieux du mot, être comblé ? Sinon être mis à l’arrêt.”


Pulsion - Sandra Lucbert, Frédérique Lordon. 

Lucbert inhibe-t-elle l’abscond générique de Lordon? Influence bénéfique réciproque en tout cas. 


#### De café


#### Thomas Clerc n’a pas peur 


… de dégommer par les mots le bâti parisien qu’il méprise. Là j’apprécie. Mais pourquoi pas de dégommage de commerces? 


Ne pas pouvoir articuler un récit avec le nom des rues comme barres-tronçons de mécano évoquant direction et géographie des territoires de Tokyo est source de jalousie.


Pour des rues nommées, Kyoto semble se distinguer. Question : les locaux en font-ils usage dans les échanges au quotidien, plus prosaïquement, dans les conversations?


L’immonde tour en finition près de feu Dream Coffee sur l’emplacement de feu Marui à Ikebukuro-ouest  - vitesse phénoménale de construction - est une tour affreuse de banalité à la feu SimCity. Manhattan, c’est autrement. De la laideur, aucune opinion, à force de fréquentation. Le regard qui cherche machinalement un bâtiment singulier ne perd pas espoir malgré toutes ces années. Ne pas se faire à la mocheté, un luxe vain. Un luxe rempart. 


#### Exégèse piétonniste


exégèse

nom féminin


(grec eksêgêsis, exposition)


1. Explication philologique, historique ou doctrinale d'un texte obscur ou sujet à discussion.

2. Interprétation et commentaire détaillés : Faire l'exégèse d'un discours politique.


exégèse géographico-sensible 

expression lourdingue


1. Explication poétique, sociologique ou autre des rues, d’un quartier pris dans le mouvement de la marche. L’obscurité du texte-ville est sa part de non-commenté, non-dit. Clerc est un remarquable exégète, sa relation en direct d’un arrondissement est plus poignante qu’une transition dans Google Street. Un taxi newyorkais ayant sillonné la ville depuis 70 ans possède engrangé en mémoire un film urbain très long métrage. La fréquentation répétée d’un quartier constitue l’engrangement d’un film pour soi seul selon des trajectoires embarquées dans le savoir tactile et auditif, pas le que le regard, de se diriger presque par automatisme. Mais toujours si possible rester alerte aux détails du moment.

2. Interprétation et commentaire détaillés : Eric Hazan dans ses Paris est très dans la relation avec l’histoire mais ce sont ses moments d’écriture descriptive de la déambulation qui vibrent.

3. Exgèse d’un quartier de Tokyo. Faites l’expérience d’une ville gigantesque qui trépigne d’énergie. En photo d’illustration - mensongère agence de voyage, mensonger journaliste au crochet du mensonge nécessaire - un temple vide qui exsude la sérénité. 


Aparté : le papier dernière rengaine redondante sur le surtourisme - plus qu’un faux sujet, un sujet de détournement - à Kyoto - ville pas pulsative - illustre l’affaire avec l’incontournable photo percluse de retouches comme acide hyaluronique d’une ruelle qui mène au Kiyomizudera, synonyme de Mont Saint-Michel. Deux jeunes filles de dos en kimono sur crépusculaire lever ou coucher de soleil d’un cliché de stock photographique sempiternel pris vers 4h30 du matin un été. Hormis elles, pas un chat.


Flashback : quelque chose de long et mélancolique en conséquence de lire qu’un hôtel de luxe va s’ouvrir dans la rue Lacépède, donc juste en quasi parallèle de la rue Rolin, traversant la rue Monge et la rue Linné. L’explosion silencieuse de charge émotive que peut provoquer le seul énoncé de noms de rues est un truc ouf, sans fin.


Sur la route 4 à Minowa, pulsative irritante pour le piéton tout juste admis, rugissante de camions remorques là autorisés, après le viaduc des lignes Ueno-Tokyo et de la Joban, juste après le goulet de maisonnettes accidentellement encore sur pieds avec quelques bouges - non, ce n’est pas petits portraits de daube - se trouve un terrain vide qui va bientôt accueillir un immeuble quelconque mais bienvenu, parce qu’il va servir de tampon acoustique à ce qui se trouve juste derrière, le village de Minowabashi. Un immeuble moche pour préserver un îlot calme. Pour une fois, le bâti est excusé.