Soupçon de cannelle


Photo reçue, du Brésil. Tu vois bien que l’appel de pied de l’ailleurs qui nourrit ton quotidien est permanent. La baie de Tokyo ressemblait à cela, il a 2027 ans. 

Longtemps je suis allé acheter mon tofu de bonne heure. En fait, non, mais en termes de possibilités du matin sortant de chez soi, cet acte entre dans les cordes du quotidien praticable. 


Je suis allé acheter du lait de soja dans l’après midi. Deux pis, deux mamelles donc, de distances proches. L’un de ces deux établissements est de quatrième génération …


… et tu peux parier, la dernière, mon coco.


L’autre …


… je n’ai pas encore demandé. 


Cet autre d’ailleurs a des douceurs, des boules de moût de soja cuit pressé, produit résiduel, okara, frites en bain d’huile comme des beignets … c’est très bon.


… mais a-t-on besoin de savoir que cela se dit okara hormis si l’idée de déposer le nom, ouvrir une boutique, être découvert par la finance, se déployer mondialement, devenir ordinairement mauvais dans tous les aéroports? Citer le terme d’origine n’est-il pas le premier pas vers la fétichisation, alors que le quotidien, son évocation, devrait être le dernier pas hors de la sphère d’attraction de la fétichisation, si souvent d’ailleurs liée à la nourriture industrielle?


Demandez nos boules de moût de soja cuit frites! Un met digne d’une fête foraine.


Message reçu à peine édité : 


“Ai découvert les kakinotané. Suis conquis.” 


Le bonheur aussi simple qu’un cracker de riz. Le Japon, ça rend bête, groupie, consumériste béat. 


… il m’a demandé si je ne voulais pas un peu de sucre à la cannelle dessus, à quoi j’ai répondu par l’affirmative, mais d’une façon erronnée - faute d’accentuation - tant et si bien qu’il a crû un instant que je n’en voulais pas.


Tu sais, la cannelle et le sucre, c’est tout de suite les réminiscences du Portugal, mais ici peu prononcé. Juste un  soupçon.


Retour à l’ordinaire, le sujet d’écriture. Je crains que l’ouvrage Écrire le quotidien aujourd’hui aux Presses Universitaires de Rennes soit redondant à Ecriture et expérience de la vie ordinaire de Maryline Heck. Je m’apprêtais malgré tout à le commander pour tomber sans surprise à la caisse avec des frais d’envois supérieurs au prix du livre. Collissimo, fameuse vache à lait de soja, veau d’or. On m’a aimablement répondu avec clarté à mon message pas le moins du monde courroucé au sujet de l’indécence des frais postaux à l’international.


_Nous avons conscience de la difficulté que nous rencontrons à ne pas faire bénéficier nos clients des tarifs Livres et Brochures. Nous sommes un établissement public et dépendons d'un marché public pour les frais d'expédition, qui n'inclue pas pour le moment le tarif Livres et Brochures. Nous sommes en négociation actuellement pour que cela change dans les prochains mois._


S’ils négocient avec le type derrière le comptoir à la poste de Saint-Ouen qu’était moins sympa que le type derrière le comptoir à la poste de Saint-Ouen, tout de même plus sympa que le type derrière le comptoir à la poste d’Avignon qui a annoncé - d’après les échos - que le tarif Livres et Brochures ne s’appliquait pas au carton exposé rempli de livres et brochures … enfin bref, je leur souhaite du plaisir.


Dans la tente comme disait Jacob, veuillez recevoir …


La relecture de l’ouvrage de Maryline Heck dégage quelques buissons et pose des questions qui ne sont abordées apparemment nulle part. On évitera ici l’usage de l’incontournable “étrangement”. 


Par exemple. Pourquoi donc les auteurs cités - auteurs publiés donc auteurs - exposent-ils invariablement des vies ordinaires qui se déroulent chez eux, dans des distances géographiques qui ne les font jamais sortir de leur pays? Pourquoi donc le traitement de l’ordinaire dès lors que hors de chez soi et de ses frontières ne peut qu’entrer que dans la littérature de voyage, la propagande touristique ou la perte de sens montée en mayonnaise esthétisante comme tant de littérateurs de passages ont laissé derrière eux à Tokyo et Kyoto en sillages de médiocrité encensée qu’ils auraient pu balayer derrière eux avant de partir plutôt que laisser traîner ces scories fumantes? 


Parce que nombres de signes ne sont pas lisibles me semble être une manière de se disculper et se débiner. S’il est des orientations, des codes à soi même si peu même formalisés, qui signifient une manière à soi de traitement de l’ordinaire, pourquoi tout ceci se désagrège-t-il à destination?


Vous savez les gars! (ouvrir le palais de manière emphatique pour que le a de gars gonfle la cavité bucale au fond près des amydales et donne ainsi un côté faubourg cinématographique parigot tête de veaux à ce mot).


Vous savez les filles. Tirer sur le iiiii.


Pour organiser une ou deux Journées internationales d’Ecrire à Tokyo, c’est un jeu d’enfant, un presque rien, bien plus simple que de préparer un banquet. D’ailleurs, le jeu est justement d’en faire un jeu d’enfant, de démontrer à quel point c’est possible et simple. Fomenter une révolution en regard de cela est une autre paire de manches.


Ayant ensuite scanné du regard au plus près la carte des alentours de Kyojima pour y percevoir l’évolution socio-démographique, j’y ai détecté un nombre grandissant de cafés beiges-béton, quelques bars du même bois de comptoir le plus souvent assombri pour se marier à la nuit, de ces établissement uniquement ouverts le week-end à juste de titre, quelques boutiques de fleurs et plantes diverses que l’on n’imagine pas être acquises par les personnes âgées invisibles du territoire, dans les rues en cette saison infernale, donc essentiellement des commerces qui ne nourrissent pas les riverains mais une certaine faune de passage. La gentrification n’est pas celle de l’immobilier de résidence mais s’insinue dans les pratiques consuméristes hédonistes et générationnellement excluantes des mobiles urbains qui veulent à destination la même chose qu’eux-mêmes.






Posts les plus consultés de ce blog

Geishas au turbin

Tokyo : mémoire des jours immédiats

Journal de guerre touristique à Kyoto - Extraits