Rectonique des claques
Photo d’un homme de dos retenant avec difficulté son parapluie tout retourné qui n’a qu’une idée en tête de manche, toutes baleines hurlantes de douleurs comme tendons tirés à vif : fuir.
La dramatisation médiatique, le catastrophisme de trains et avions pourtant annulés “en prévision”, expression systématiquement absente comme si une critique des JO censurée, montre encore une fois la preférence supérieure pour un Japon narré en mode catastrophé, ou comme destination au doux hédonisme consumériste tranquille prisé des migrants de style de vie. Kagurazaka a parfois des allures de plages de retraités blancs heureux en quête de fromages.
Alors que j’écris ces lignes, un jeune barbu nécessairement français expose son chien en laisse sur le trottoir pour la plus grande joie des dames gloussantes à l’avenir centenaire attablées, laisse mauve accordée à la couleur de son short. D’un seul coup, Ningyocho me donne envie de vomir. Où se trouve le fromager à dynamiter, le débit de jambon de Savoie, le boulanger qui était avant dans la finance?
L’Indonésie et ses parages d’où naissent nombres de ces typhons n’a jamais le vent affabulé de voiles déchirées en poupe de l’adoration dans les désastres définitifs. Faut dire qu’en saris, ça fait pauvre. Maintenant qu’ils nous ont retiré d’un coup sec de dessous les tatamis la menace subaïgue d’un mouvement majeur de tectonique des plaques - rectonique des claques - que reste-t-il dans l’immédiat pour baliser? Le retour de la pénurie de beurre ou d’oignons?
Au supermarché, un tofu industriel “fabriqué selon les méthodes traditionnelles d’Okinawa” à Tochigi. Faux et usage de faux. Le washoku va à vau-l’eau.
#### Cesser d’attendre des choses qui ne se produiront pas
Quand l’emprise visuelle du tourisme est plus fort que toi, plus fort que le tourisme comme über sujet de conversations oiseuses dans les bouches, il ne faut faire aucun effort pour visualiser les flux vestimentés à l’identique selon une démarche à l’identique toujours près pour un selfie à l’identique sur le Rialto ou le pont de Nihonbashi. Seul le pont change.
Le Japon tente de s’adapter aux touristes toujours plus nombreux…
En construisant toujours plus d’Apahotels clapiers dans des coins où il n’y a rien, sinon que d’autres Apahotel et des 7Eleven funs.
There is this feedback effect where more people visit, take photos, share them with their network, and that begets more visits.
Le psy général décida que le dossier ferait l’objet d’un traitement mémoriel distinct : l’amnésie.
#### Passage par la rue Hikifuné
D’abord, cela n’a l’air de rien, de ces riens urbains à taille étrangement basse qui offrent au ciel l’occasion d’occuper plus de 80% du champ de vision. Ce qui ne colle pas avec l’idée de l’urbain. Spectral en conséquence comme aux alentours de la Sky Tree. Y a-t-il eu un tsunami tantôt? Souvenir d’un passage à Kesennuma.
Plus loin, de vieilles bâtisses dans les réduits, vue un peu calmante, certaines longues à angles en biseau en bord de rue. Rue autrefois bien plus marchande, scénario redondant. J’étais parti pour retrouver la ruelle marchande quasi muette Kira Kira, tenter un café inconnu, remettre peut-être brièvement les pieds là même où avant le covid j’avais persuadé Peter de venir voir, de sortir de son Tokyo étriqué. Les choses ne se sont pas exactement passées ainsi. Une conflagration de coïncidences a monopolisé l’espace.
D’ailleurs, les coïncidences posent des questions dans les écritures du quotidien comme elles veulent rendre extra l’ordinaire. Leurs manifestations sont pourtant tellement banales qu’elles devraient être classées comme des secousses du tellurique intime de très faible intensité. Et puis, à bien y réfléchir mais pas trop, elles sont le plus souvent la conséquence prévisible de choix, comme par exemple de m’être arrêté devant cette boutique de plantes d’intérieur, d’avoir lu coffee en petit sur la devanture, d’avoir poursuivi sur à peine dix mètres, d’avoir rebroussé chemin, d’y avoir pris un café et quelques conversations dans un fond musical infra-original. Un fond de bruits de jungle brésilienne aurait mieux fait l‘affaire. Je zapperai les détails, sauf que dans la conversation est apparu cet artiste du bambou tressé avec qui j’avais repris contact en début de semaine, artiste que l’on avait rencontré par hasard avec Peter, qui avait marqué cette belle journée. C’est un artiste connu m’a-t-elle dit. Comme moi ne lui ai-je pas répondu.
Et que donc la conversation a révélé que les bohèmes quarantenaires des lieux naviguaient dans une dynamique bien entendu commune, et que ce lieu était un parmi d’autres points de ralliement de jeunes artistes du coin, nonchalants aussi la chaleur aidant, à la conversation courte amusée sans suites, avec gentillesse sans aspérité. Les chances qu’une telle coïncidence fut mise en branle étaient directement liées au choix de rebrousser chemin et entrer dans le local qui n’était pas ma destination d’origine. Il n’y a ainsi strictement rien d’extraordinaire dans cette anecdote. On a peu parlé d’art. Un gros chat se prélassait sur le parquet.