Confession

 


C’est décidé : à Noël, je m’offre un taximètre, une pendule d’avocat comme aux échecs, et je me fais payer à la minute d’écoute. Très cher la minute même si je n’ai pas encore fixé mes tarifs. On se confie à moi depuis l’âge de 12 ans je crois. Il est temps d’en faire un job, ni confit ni confiture mais écoute. Si vous lisez ces lignes et souriez, sachez qu’il n’y figure aucun humour intentionnel. Cela va être très dur d’y croire, mais c’est votre problème de lecteur. Je ne vais pas non plus m’occuper de vous tout de même, entendre vos griefs! J’ai déjà ailleurs à écouter. 


C’est comme cela et ainsi : je suis, donc, j’écoute. Je sais que cette affirmation va en surprendre plus d’un, mais c’est parce que vous ne m’avez jamais entendu vous écouter. Peut-être la dernière fois n’aviez vous rien à confier, à vous confier, à vous confir.


On ne me demande pas si je veux écouter, on se confie, depuis l’âge de 12 ans. Peut-être 11. Un type qui écoute ne peut pas faire de la radio comme l’objectif est de couper son interlocuteur. J’ai fait une croix et depuis longtemps sur mon avenir radiophonique hélas. Se confier, confit, de canard. Irrésistible. A 11 ans ou 12, je ne sais plus sur quoi on se confiait, mais déjà et bien sûr sur des trucs très personnels. Peut-on se confier sur autre chose que des choses personnelles? Oui, on peut faire spectacle de soi, de ses succès. Cela vient plus tard. Mais à confesse à 11 ou 12 ans, on ne crâne pas. Papa, maman, se faire gronder, méchante. Je ne sais plus. Bien plus tard, on se confie avec plus ou moins d’exposition de soi, photos à l’appui dans un mélange de satisfaction déception. Encore une fois, si vous lisez ce qui suit et pensez y trouver un échos de cynisme ou pire d’envie, vous n’y comprenez rien. Vous méritez d’être confit, confus, déconfit, et pas en confiture.


La photo sur le mobile est d’ailleurs un formidable outil de mise en branle de l’acte de se confier. Tourne bientôt un vortex de satisfactions, de regrets, de drames. On dirait, comme dans la vie. On me demande seulement pourquoi je ne lis pas de fiction. Parce que le contenu de ces confessions vaut bien toutes les fictions. Le confessionnat sature l’imagination pour des jours à venir. L’alcool est rendu inutile. Ces confessions vraies me saoûlent de fictions.


J’ai parfois à faire à des flambeurs à degrés divers. A 11-12 ans, on n’est pas flambeur. Cela vient bien plus tard selon les vécus. Je dois préciser que seul des petits garçons de 11-12 ans, et plus tard des adultes hommes se confient. Les filles je suppose, c’est entre elles. Encore que, écrivant cela, me vient le souvenir d’une flambeuse malheureuse avec exposition de photos- semi-privées couvrant la même gamme plus ou moins d’objets, personnes, animaux domestiques, artefacts et situations, à un moment charnière de sa vie. Quand tu viens 20 fois au Japon de manière effrénée, et que du jour au lendemain, tu ne viens plus, c’est qu’il s’est passé quelque chose. L’avènement de l’âge adulte sans doute. 


Dans l’exposition photographique, les animaux domestiques sont des invariants, avec une évidente domination féline. Et tout aussi invariablement, ces chats ont un quelque chose de très singulier, côté faciès, côté corps. Les véhicules sont aussi assez communs, les véhicules acquis. Le scooter de forte puissance pour les flambeurs classe moyenne. Les biens plus cossus ou hors-normes quand on monte en gamme. J’ai eu droit à, ma première Porsche. Suivie quelques temps plus tard par ma seconde Porsche accompagnée d’une invitation dans le futur à y monter, pour voir. Pour la vitesse, je ne prends que le Shinkansen, mais j’ai gardé la répartie pour moi-même. Au moins on peut se lever et étirer ses jambes. Il ne me viendrait pas à l’idée d’exposer mon wagon de Shinkansen, mais on ne peut pas être à la fois à l’écoute et dans le rôle de l’exposant de sa satisfaction d’être, surtout d’avoir. 


Il y a aussi exposition de satisfaction de posséder des fonds, d’être assuré de sa retraite. C’est très fort ces temps-ci. Cette exposition de capital se passe de documentation visuelle à l’appui. 


J’écoute, et les drames de la vie ne sont pas loin. Ils déboulent, par bribes et sourires voulant dédramatiser les drames. Dédramatiser fonctionne sur l’exposition de photos joyeuses, familiales, enjôleuses, épouses peu,  call-girls régulières le temps que cela dure, maîtresses, les exs. L’homme à confession dôté d’un capital ne se fait aucune illusion. Il a vécu. Celui qui y croit encore est plutôt possesseur du scooter de forte puissance. 


Si vous êtes toujours incapable de comprendre que tout ce qui précède et va suivre est totalement dénué de cynisme, mais épris d’abord de non-jugement, qui n’est pas la non-pensée, sur fond d’une certaine compassion - qui elle ne doit pas être totale et c’est bien ainsi - c’est donc que vous n’avez pas compris, ou alors que vous possédez un scooter de forte puissance, ou rêvez d’en faire l’acquisition.


L’exposition des photos, c’est d’abord le travail intense de la recherche de ces photos, les faire défiler sur l’écran. C’est une scène qui me met un peu mal à l’aise. Juste un peu. J’évite de regarder ce défilé comme on évite de regarder la patineuse avec cette angoisse qu’elle pourrait bien s’effondrer sur la glace. Je me saisis à répétition du verre d’eau sur le comptoir pour temporiser. Je bois trop de gorgées, ce qui ajoute au silence qui est mon rôle échu. Certaines photos annoncées n’apparaissent finalement pas. Introuvables, effacées peut-être. Mais elles sont décrites, et l’énoncé parfois épouvantable me suffit. Processus de vieillissement de proches, veille du décès, jour de l’enterrement. Je suis gré au système de ne pas être à même de retrouver facilement la photo annoncée, de savoir diluer par pauvreté algorithmique la tension.


La majeur partie des photos annoncées ou exposées rapidement ont trait à des personnes. Les flambeurs montrent vites mais pas en catimini les femmes, des moments d’intimité touchants, tous le monde sourie, d’autant plus que cela est annoncé avec un dépit du savoir que la finance est au coeur de cette intimité. La catimini n’a plus cours. Quelque chose d’autre l’a remplacée. La transition entre photos de flambage en actes et photos de familles est surprenante. Non pas que je sois surpris, mais ce phénomène redondant dans mon expérience mériterait de s’y poser et réfléchir à ses significations. Mais on ne peut pas écouter et penser intensément à ces choses là. L’écoute ne laisse que peut de marge au dialogue intérieur. 


Pour relancer ce texte, il faut faire redondance. D’un point de vue de style, c’est nul. Mais sur le plan mécanique d’écriture, c’est indispensable.


Donc j’écoute depuis 11-12 ans. On me demande d’écouter mais seule cette demande n’est pas verbalisée. C’est soudain, ça ne louvoie pas pour tâter le terrain au préalable. Cela se passe spontanément. Il n’y a pas de “si ça te dérange tu me le dis hein?”. Cela ne me dérange pas mais me met un peu mal à l’aise, un peu seulement, cette tension, cette note continue et soudaine qui va durer même après la sortie du bar, même après que chacun parte dans sa direction propre pour disparaître jusqu’à une prochaine fois peut-être. 


La capacité d’écouter est conditionnelle de l’incapacité à réagir au quart de tour, puis plus tard, à considérer que ceci n’est pas une tare mais bien une compétence. C’est pour cela qu’un taximètre à Noël est de rigueur. Ça va taxer, un max.


La fin de vie, les fins de vies, les vies finies trop tôt sans plus de commentaires ni explications sont les moments qui durent dans le temps. Des photos à l’identique sont exposées plusieurs fois de suite. Je ne fais aucun effort pour ne pas réagir, juste un rare : elle était encore lucide? comme un point dans l’espace sombre où s’accrocher, permettre à la suite d’apparaître. Savoir si elle était encore lucide ou pas n’est pas du remplissage, mais bien l’expression d’un souci. 


Il a plu paraît-il des trombes mais nous n’en sûmes rien. A l’étage au comptoir mais pas sous le toit, aucun son particulier ne laissait imaginer le déluge dehors. En sortant, le sol était à peine mouillé. A 21 h, je tombais de sommeil mais Asakusabashi était vraiment charmant et aurait mérité de s’y attarder. Retards de trains mais comme on se dirigeait vers l’ouest, cela n’avait que peu de conséquences. C’est vers l’est quand à Asakusabashi que ça morfle. 



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