Accéder au contenu principal

L’usage logistique du monde

####Ginza 8

Le toujours plus jeune coiffeur m’avait annoncé discrètement, juste avant ou après la finale du sèche-cheveux, comme un secret à ne pas ébruiter, qu’il allait quitter le salon-ci pour travailler dans un relativement nouvel établissement. Toujours à voix basse, j’avais posé des questions de comploteur, sur le tarif à escompter d’abord, d’autant plus qu’il m’avait dit sans élaborer qu’il s’agissait d’un salon constitué de quatre sièges séparés et privés, un coiffeur en alcôves. De l’extérieur, ce salon de coiffure ressemble à un restaurant japonais, tempura ou sushi, bâti la veille en trois semaines. Même l’enseigne de coiffeur tricolore à rotor - signature visuelle de la coiffure offrant aussi la coupe de base au tarif agrée mais pas du tout bradé - adopte des tons pastels sans tomber dans l’anémie étiolement en manque de fer et de conversations à la MUJI. 

Il m’accueille sur le perron, il est vêtu d’une veste style samué (si, si, le correcteur d’orthographe va devoir ingérer ce terme) à l’étoffe trop fine. L’intérieur est en faux japonais authentique, c’est à dire de style japonais avec des matériaux simili approchants qu’à force d’habitude et de fréquentation, on oublie à quel point ils sont ... faux. Mais l’expérience - comme on dirait dans le tourisme - est agréable et surprenante. Je lui suggère une association avec un sushi du coin où retrouver l’exacte même ambiance sans les odeurs d’un salon de coiffure, effuves de shampoing contre parfums de poissons crus. Un verre de saké ferait aussi l’affaire après le coup de rasoir, mais un règlement et la morale veillent à inhiber l’imaginaire. Il a débuté la veille et me dit qu’il ne maîtrise pas encore où se situent les outils et serviettes logés dans des meubles ultra plats. Je lui avoue enfin avoir autant peur du coiffeur que du dentiste, ce qui signifie dans les deux cas ne pas envisager d’en changer. Cet échange d’alcôve est intime comme il n’a jamais été.


#### Autrices


Foreign women writers give alternative view of Japan - Works on Japanese culture, history, reflect distinct sensibility through the ages, paru dans le NikkeiAsia est un excellent article de Stephen Mansfield, auteur de Tokyo, A Biography.


####L’usage logistique du monde


Pour reprendre cette piste : l’éloignement se traduit par un désintérêt et un regret quand l’occasion se présente d’y aller de ce que les choses ont changé. Ce qui s’est inscrit en soi au fur et à mesure du temps est l’accumulation du non-être sur place, de ne pas avoir vécu l’évolution des choses qui sont à la surface de deux ordres, me semble-t-il, l’usage pragmatique des lieux physiques et des dynamiques sociales locales, qui se situent dans les dimensions logistiques et des usages de la parole dans le cadre des intéractions marchands, et aussi l’usage de la parole et des modes d’interaction dans les dimensions sociales hors le champs consumériste, qui évoluent sans cesse, sans soi y étant un participant, sauf à l’occasion à distance ou lors d’un passage bref. 


Pourtant, la forme de l’éloignement a changé qui se nourrit parfois, par nécessité, de devoir gérer par exemple à distance des aspects logistiques du vivre au quotidien, de ce quotidien qui n’est pas le sien, et d’en faire ainsi l’expérience à la fois virtuelle et pragmatique, comme par exemple ce qui est arrivé tantôt avec un prestataire d’électricité situé à 10 000 km d’ici, ou d’aider à l’achat en ligne de billets de trains que soi-même ne prendra pas, et par le biais des applications, faire l’expérience d’une logistique autre, et déroutante assez souvent. Qu’un réseau de train admette le roulement de convois de compagnies de transports différentes et en compétition est une réalité qui peut se lire dans un article de la rubrique économie, mais la lecture, le savoir de la chose, et sa pratique, n’ont aucun lien. On voit d’ailleurs à ce stade une piste sur l‘écriture et l’usage de l’information qui se traduirait aussi par des amorces de savoirs-faire applicables au cas où. 


L’annonce dans un article récent en anglais du passage progressif au Japon vers le paiement des tickets de transport par contact direct au niveau des portiques avec sa carte de crédit, procédé présenté comme une merveille de l’avance technologique du Japon, antienne constitutive de l’affabulation résistante - minoré dans un article sur le même sujet lu dans le Nikkei qui précise que ce procédé existe déjà dans 700 destinations du monde - permet pour soi de créer un lien comparatif d’usages ailleurs - on a fait cela dans les bus à Lyon - et (ré)actualiser ainsi des savoirs logistiques acquis par usage dans le cadre d’une manière de faire - dans ce cas précis liée à la dimension fondamentale dans le quotidien urbain global de la mobilité - et ainsi, pour ainsi dire, et à défaut d’une meilleure expression, de se mettre en quelque sorte au diapason, de mettre en résonnance l’ici et le là-bas.


A F qui me disait hier ne plus trouver d’intérêt  à Paris et privilégier lors d’un passage en France la province, j’ai répondu que l’on ne peut pas fonctionner uniquement dans la nostalgie, que celle-ci doit s’entretenir à travers des actions lucides pour soi de réactualisation, de mise à niveau du logiciel lancinant, ce qui commence sur place par l’observation, de celle pratiquée en sociologie qui implique le non-jugemental, et aussi de trouver des usages à soi qui siéent à ses préférences, mais sans forcer, c’est à dire sans se sentir obligé d’adopter d’autres coutumes dont l’évolution a échappé par absence longue ou répété sur les lieux.


Il y a tout un faisceaux de réflexions à creuser sur la Nostalgie 2.0 qui se doit d’être reconnue et examiner comme n’étant plus tout à fait ce qu’elle était. Elle est “augmenté”, c’est à dire “augmentable”.


####Cru


Ça se passe dans le couloir de l’université. Le cours s’intitule “Pratique des affaires au Japon”. On attend le professeur, l’intervenant. C’est dans les années 80. L’intervenant ne vient pas. La scène se répète au fil du temps. Etait-ce un cours censé être mensuel - sans doute - ou hebdomadaire? Plus de souvenir. Ce cours reporté de multiples fois s’intitulera “En attendant Godot”, qui n’est pas le patronyme du professeur. Certaines fois, l’attente fébrile était pimentée d’annonces de l’administration comme quoi il était en chemin, comme quoi cette fois-ci, c’est pour de bon, suivie par un rectificatif qu’hélas un empêchement fait que ... y compris quelque chose de l’ordre de : il n’a pas pu quitter Tokyo à temps. Le cours n’eut jamais lieu qui fut remplacé par un cours d’introduction au japonais scientifique, improvisé par un professeur japonais en poste à ce moment là qui je crois pratiquait dans les sciences physiques. J’ai appris récemment que Godot est décédé. Longue carrière : a bien commercé, a bien baisé. Cet énoncé cru a pour but d’énoncer que ce couple d’activité d’une grande banalité globale n’offre probablement que très peu d’intérêt dans une trame fictionnelle potentielle. 


####C’est la saison


Les agrumes sémaphores urbains brillent un peu partout. C’est bien. Ça requinque par la vue. La saison est jaune, encore bien plus qu’ocre.

Merci aux lecteurs de France, Belgique, Japon et Ailleurs, nom de pays.