Accéder au contenu principal

Mettre à l’endroit


On détachera facilement l’exercice d’écriture amateure d’une attente de lecture.


Tu me demandes une recension de Parias - Hannah Arendt et la Tribu à Paris? C’est tout un métier que je n’ai pas, c’est main dans la main avec l’écosystème, alors que le lecteur lui n’a pas à s’immiscer dans cela. Lire est un boulot en soi. S’astreindre à la lecture est déjà suffisamment une lutte incessante contre le zapping. 


Par contre.


Le texte fait écosystème seul, avec dans le meilleur des cas mais pas nécessairement des partages entre ami(e)s. Pour le ressenti par contre, la seule qualification est l’acte lisant, et être attentif à ce que la lecture évoque, ce qu’elle met en branle - ces quelques choses de vaguement - et surtout quand cela paraît bizarre. 


Parcourant Parias, m’est revenu ainsi cet article de Sandra Lucbert intitulé Le Monde à l’endroit paru chez Ballast en février 2023, Sandra Lucbert dont les écrits étrangement manquent à l’appel récemment. Deux textes donc : un livre et un article apparemment sans lien aucun, sauf que la mémoire associative veut y voir des accointances. Dans le cas de Marina Touillez, c’est une série de points éparses disposés au cours de la vie et cela remonte à loin, qui prennent plus sens encore, une histoire pas vécue sinon que par faibles mais redondants ouï-dire maintenant mise au clair - mais il y a toujours de la marge pour plus de clarté -  cette sensation du puzzle qui se résout, 


Ce ha, ha!


C’est donc cela qu’ils ont vécu. Parce que, dans l’histoire, tu es pris dans des vagues. Et sentir la forme de la vague comme si les yeux fermée, une forme qui prend forme par le touché dans le noir, c’est ha, ha!. C’est le moment ha, ha!


Avec Sandra Lucbert, il s’agit donc de mettre à l’endroit. La mémoire associative clame en BGM que mettre au clair et mettre à l’endroit sont des dynamiques identiques. C’est à cela qu’il me faut être attentif. Le roman national mis à l’endroit, la propagande évacuée par la fenêtre comme on aère la chambre au remugle vicié, et soudain on respire clair, on voit lucide. L’équivalence de la mise à l’endroit et de la mise au clair est vraiment affaire de respiration devenue plus aisée. La lucidité, c’est l’oxygène. Qu’en aparté soit revenu aussi le besoin entravé de poursuivre la lecture du Paxton de Vichy France qui résiste, qui lui ne fait pas dans la pathos, évoque ce qu’il y a encore d’efforts de lucidité à exercer. Touillez elle pratique par moment l’écriture pathos et c’est le seul point de malaise dans l’ouvrage peut-être rendu ainsi “plus lisible”, et le seul point de recension ainsi fendue.


Tu dis que tes grands-parents étaient des pétainistes pur beurre? Ce beurre suinte jusqu’où? Jusqu’à quand? Le moment ha, ha! est aussi constitué d’une soudaine lucidité-intuition qui déplace l’échelle du temps, qui distingue les étapes quand à l’origine elles n’étaient qu’un moment singulier majeur : quand cela a eu lieu, quand cela a été nié, quand cela à commencer par se savoir et se diffuser dans la société. Et sur cette échelle des évènements qui n’était au début des histoires entendue résumées en un point unique, tu déplaces maintenant le curseur comme sur une règle a calcul, plastique blanc solide de bakélite. L’auteure de l‘ouvrage n’a plus commande de l’effet de ses écrits. Elle est larguée. Le lecteur domine. 


Le LRB  arrivé dans la dernière distribution de l’année a justement une recension, une vraie, sur un récent ouvrage sur Pétain. Une recension qui tient, cela doit sonner ha, ha! chez le lecteur. C’est souvent le cas avec le LRB. Dans le Asian Review of Books par compte, aucune recension ne sonne ha, ha!  


Des rues qui font ha, ha!



Il existe des rues qui font ha, ha! mais c’est plus diffus, cela requiet d’y détecter par fréquentation soutenue la grammaire locale, sa grammaire locale des lieux à soi.  Une rue ne s’écrit pas comme une phrase; un quartier est un foutoir de mots à ranger, classer, mais à terme, l’effet textuel mène à un surcroit de lucidité géographique ancrée dans le voisinage. On n’est pas adopté par un quartier, on l’adopte. Il doit être méritoire à sa sensibilité. C’est l’inverse même des cercles et entre-sois : on s’accapare le sentiment et le droit d’y faire chemins, passages et présences.


Depuis quelques temps, je te suis des yeux toi partant en hauteur sur l’escalator à Takadanobaba, avec du point de vue bas aux portillons où je temporise une ultime fenêtre de perception composée par une poutre horizontale, avant que tu ne disparaisses sur le quai situé ma fois bien en hauteur. 


L’escalator de l’accès 2 de la ligne Seibu à Takadanobaba  est un lieu dramatique tel le niveau des départs d’un aéroport. Un lieu prémonitoire.


Ensuite, c’est de routine de transfert dont il s’agit, plus couramment le long de la rue Tsutsujidori dont le nom apparaît sur Google Maps qui ne va jamais se fixer en mémoire par mésusage dans le quotidien. Les noms des rues de Tokyo suscitent le dédain comme ces voisins de palier avec lesquels on ne parle jamais, et dont on ne connait pas le nom. Ne pas pouvoir fréquenter une rue de par au moins son patronyme est de l’ordre de la claudication. Il manque un membre constitutif à l’acte de présence rendu bancal. Il faut se trouver d’autres points d’appui.  


Intentionnellement aujourd’hui, je prends le détour à main gauche le long du Lawson vers le coude qui débouche sur une rue parallèle bien plus calme, celle qui passe par les sorties Toyama de la station, une rue prolongement de ce fond soucieux et attachant tel que je perçois Takadanobaba, précarité de l’équilibre. Mais cette sensation est recherchée qui colle avec l’escalator de tout à l‘heure. 


La terrasse du Pronto quand sous le soleil est un enclos parfaitement urbain berlinois pour l’occasion, pour visionner une courte vidéo sur la contre-géographie. La présentatrice énonce des platitudes sur Google Maps qui sert “d’aller d’un point A à un point B”, alors qu’il s’agit d’en faire usage pour s’en détourner au final, de créer au mieux l’habitus routinière qui consiste quand acquis à se repérer sans peine et sans outil. Sortir de l’écran donc. On ne souligne pas assez le plaisir qu’il y a à se repérer dans la ville qui est de l’ordre de la lucidité géographique quand soi-même devient train, mais sans voie dédié parfaitement mobile et parfaitement à l’aise. 


“On ne souligne pas assez” est d’une formidable arrogance, comme une annonce avec aplomb pour soi-même mimant celle entendue à Londres - “Good service on Jubilee”.


Good service on Hibiya Line.

Good service at Shinjuku. 


Un roman de détournement d’annonces d’une ville transposée dans une autre ville.


Nous informons notre aimable clientèle que le train prévu à 12h03 est actuellement à l’arrêt à deux stations suite à l’apparition d’un ours sur les voies. 


Le truc ouf de cette rue est qu’elle finit en cul de sac comme si sans prévenir les véhicules pas sur leur garde. Mais les piétons ont de quoi poursuivre vers le sud via un court parcours complexe, d’abord en descendant pour passer sous les voies à travers le tunnel routier, puis remonter à droite pour passer en hauteur vers le trottoir opposé, et poursuivre vers le parc Nishitoyama en pratiquant une fois encore un coude.


A bien y penser, le territoire immédiat est très coudé.


Il se trouve donc une partie de l’avant-scène du parc qui constitue un boulodrome d’habitués blancs aux cheveux gris comme dans un village de retraités, et juste ensuite en contrebas comme vu une autre fois un petit attroupement géographiquement très éloigné où des jeunes asiatiques pratiques un sport duquel trouver le nom n’est pas une urgence où je comprends que l’usage des mains et sans doute des bras n’est pas autorisé pour faire passer la balle de l’autre côté du filet. 


Ensuite les tours Nishi Toyama Towers accolées un peu spectrales, le théâtre The Globe Tokyo dont le nom grandiloquent prête à sourire, réaction dont il faudrait se débarrasser qui s’estompe déjà. Après le feu où croise la rue Chuo-Byoin, rue de l’hôpital central dont le patronyme mérite l’effacement, on entre dans le territoire de l’Islamic Alley, le Belleville de poche de Tokyo, explication superflue qui sent son guide de crétin touristique. 1 gramme de safran d’Iran à 600 yens - et un bref instant la surprise muette d’avoir toujours payé plus pour la même chose au même endroit. Du pain ouzbek à Nasco qui a rouvert après l’incendie avant que de prendre la JR à Shin-Okubo jusqu’à Nishi-Nippori puis la Chiyoda jusqu’à la station suivante Machiya, puis le tram jusqu’à Minowabashi sous lequel coule la Seine.



Tu te rappelles de la maman de C qui avait évoqué la beauté des bombardements sur Tokyo aperçus sous forme de lueurs d’une fenêtre ouverte sur la nuit de Fussa? Elle n’est plus. Elle n’y est plus.