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Le monsieur américain



Au cours du dîner, la discussion s’avéra véhémente puisqu’ils comparèrent leurs goûts respectifs, sur les qualités des spectacles de nô et de Kabuki auxquels ils avaient déjà assisté. Marguerite exposa, d’un air mi-espiègle mi-indulgent, les raisons pour lesquelles elle préférait le nô, alors que Jerry déclara avec obstination qu’il ne l’aimait pas du tout. Et le monsieur américain qui les accompagnait – Donald RICHIE – qui vivait au Japon depuis 1947 et avait accueilli des célébrités, profita de ce « chahut » pour satisfaire sa curiosité et leur demanda comment ils s’étaient rencontrés.”


Vénération suffocante envers l’auteur de passage, sa forme incontournable, prévisible, sa déification de coterie. En marge, un monsieur américain, rémunéré j’espère, mène et cajole et écoute les énoncés sentencieux qu’il provoque et taquine par ses questions de trop journaliste, pas assez auteur puisque n’étant pas lui de passage. La sublimation de l’auteur de passage, l’écrivain-voyageur, est comme l’air du temps, jamais questionné, jamais interrogé, jamais mis en reflet au miroir à déformations multiples. Culte de la personnalité. 


En aparté essentielle, Amazake Yokocho se poursuit direction nord-est sur la Meiji-za, sonorité avec un quelque chose de grandiose pour une rue très aimable qui n’en impose pas, qui finit en petite fourche à deux piques tenant en étau une coulée verte de poche déboulant mais très lentement sur l’étrange grand square Hamacho (stratégique sortie A2 de la station éponyme sur la ligne Shinjuku ) - le terme parc étant réservé aux grands -  avec en bordure de lèvre cachant la Sumida une portion presque assourdissante de l’autoroute intra-urbaine numéro 6. Cet empilement d’éléments de la ville crée le subterfuge d’une sorte de cul-de-sac qui n’en est pas un. Le café de Koko Hotel est un autre subterfuge, de café européen étonnant d’aillorité. Tout ceci se situant à un jet d’onigiri de Ningyocho étend la texture mentale et les possibles d’un territoire au ressenti toujours plus familier au ras du bitume. Comme au Monopoly, j’achète.