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#### Entreprise commune
S me montre une photo de nourriture maison sur son mobile (je n’aurai pas noté mentalement quoi) puis elle part sur autre chose, sur son récent voyage à Hawaii, son unique et indispensable destination hors du Japon, celle qui lui fait un bien fou et cela se voit et je le lui dis. Transplantant là-bas ses journées tokyoïtes obsessives passées dans un club de gym pour une bonne partie de la journée, les courses et un godet sur ce lieu quasi-quotidien (et une cigarette dehors sur la chaussée), elle a consacré sa semaine américano-pacifique à des activités aquatiques intenses.
Le théâtral et un peu pathétique habitué à ses côtés dont je ne me souviens plus du nom lui aussi montre à qui veut sur son mobile une photo d’une barquette d’huitres congelés au sujet desquelles il s’enflamme sur le prix très abordable, cherchant l’acquiescement. Ensuite il est question d’une pièce de boeuf qu’il aura paré et préparé lui-même en lamelles à consommer crues.
Sur une autre photo, il expose des condiments et épices posés en traces sur une assiette noire, sel, poivre noir concassé et glutamate. Sur une autre photo, le boeuf tranché fin, l’assiette noire et une bouteille de vin rouge avec un verre unique sont mises en scène hédoniste sur fond d’une plante en pot quasiment dénuée de feuilles, faisant penser à un palmier où ne demeurerait que le tronc. Il insiste plusieurs fois qu’il vit seul, mange seul, s’entretient seul. Il est dans une sorte d’ébriété permanente.
S passe d’Hawaii à la baudroie dont elle fait l’éloge, la baudroie japonaise, pas d’importation. Elle mentionne une région du nord où il faut absolument aller pour se bâfrer de lotte fraîchement pêchée.
De l’autre côté de la table toujours sur écran de mobile exposé, il est question de thon, dont on voit une large tranche coupée dans la perpendiculaire de l’animal, avec la colonne vertébrale au centre, tuyau blanc, et la peau épaisse. Vue rare de la chose, coupe pas orthodoxe qui a du en faire une pièce bon marché.
M n’a rien à montrer mais aujourd’hui hors de ses habitudes de bière à 0% de sucre, il en sirote une standard tout en grignotant des crackers industriels. Je lui fais remarquer que ce n’est pas son genre, ce qui l’enjoint à commander exceptionnellement un verre de whisky, avant que de se rabattre à la fin sur sa 0% favorite et médicalement approuvée. Il travaille jusqu’au 28 décembreet l’idée d’organiser une petite festivité à l’approche de la fin de l’année plusieurs fois évoquée ne lui inspire pas plus d’entrain.
Nous trinquons plusieurs fois tous ensemble, entreprise commune, routine idéalisée et pratiquée pour oublier que cela aura une fin. Ce moment de communion spontané est encouragé et accueilli avec des sourires triomphants. Culte et cérémonie de la routine à plusieurs.
C’est un bon millésime aujourd’hui : suffisamment d’habitués pour remplir le local et cette ferveur à parler de banalités avec la nourriture au centre, sujet anodin massif.
S prend les devants pour partir chez elle à l’avance comme toujours. On n’a jamais vu son mari, personnage flou. Ce soir au dîner, ce sera comme la veille et comme demain un nabé. Personne n’invite, personne ne s’invite. Le chez-soi hors de chez soi est ici. Vers la fin, on est brièvement deux avec M puis apparaît une voisine qui vient prendre un verre en attendant que la séance de dégustation qui va avoir lieu à l’étage soit lancée. Elle affiche sur le visage l’expression du bien être d’être ici, refuge apaisant, et de l’anticipation des plaisirs à venir en haut. Tout ceci, voir et participer, a l’effet d’un contentement dont l’écho va persister dans les heures et les premiers jours qui suivent. Continuer à observer ces moments là où il ne se passe rien, de particulier.
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Et Athéna dans tout cela? Mystère. Cet extrait de The Discovery of the Mind de Bruno Snell tourne en boucle depuis des jours, une curiosité sans nom, sans lien, sans savoir la cause de l’étonnement qui se dérobe à l’introspection. Pas vu Athéna passer ces temps-ci. J’ai imprimé les quelques pages du chapitre à 7Eleven. Je les promène dans le sac avec les légumes et cette variété de raisins du nord du pays dont une grape coûte moins d’un cinquième de l’infâme Shine Muscat qui monopolise les bacs.
In the scene which we have described, an unobtrusive feature of Athena's speech
allows us to perceive the immense difference between Greek faith and Oriental
beliefs. She begins: I have come down from the sky to assuage your anger--if you
consent. What noble charm is expressed in these three words. They carry the graceful
stamp of an aristocratic society; with chivalrous courtesy the speaker tempers her
own claims and gives full consideration to the other person's privileges. The
commerce between mortals and immortals is regulated by the most polite
sentiments. The Greek god does not burst forth in a storm-cloud to strike man with
his thunder, nor is the worshipper awed into a sense of insignificance by the terror
which his god inspires in him. Athena says, as if she were speaking to her peer:
follow me, if you wish.