Débris de corium, éclats de chocolat, coup d’éclat
核燃料デブリ
A lire en très grande force de caractère.
Sur l'écran à hauteur de captation addictive dans le wagon, c’est news, Fukushima, récupération d’une miette dite débris. Ce débris デブリ laisse songeur, bien plus qu'un bout de Brie suspect d'importation, un dé-bris de glace pour appeler les autorités, etc.
Écrire: on n'en finit pas d'apprendre la langue.
Éviter : d'écrire cela.
####L'association culinaire d’avec ce débris va de soi.
Éclats de chocolat
Copeaux de fromage affiné en cave 16 mois
Écrasé (de la circulation) de pommes de terre
Débris de corium, cuisson longue
Trait de sauce façon calligraphie
Mousse de tout ce qui traîne dans le frigo qui ne demande qu'à se faire mousser.
Quelqu'un a-t-il lu le livre dernier de P. Pons qui j'imagine n'est ni au service de l'immobilier de résidence secondaire pour les life styleurs de migration temporaire hédoniste, ni dans le payroll de l'agroalimentaire?
Merci de m'en offrir un exemplaire avant que le tarif postal de diffusion des lumières à l'international passe en classe affaires.
####Intuition opaque
Une relecture attentive du programme de la Japan Writers Conference qui a eu lieu récemment à Fukushima justement me laisse songeur, et un peu pantois. Mais surtout s’ouvre soudain une intuition opaque.
On zappe sur des intitulés du genre “comment écrire des poèmes publiables”.
Prends-y de la graine Arthur.
On zappe sur une présentation promotionnelle de Japonica Publication, sur Medium (grave).
Par contre, on ne zappe pas sur le résumé de la présentation concernant la forme oh! tellement japonaise! du zuihitsu, Sei Shonagon, sa modernité, sorte de post-péracquianisme avant la lettre, mais avec une opinion de rombière.
162. Choses désagréables à voir
(…)
Une pareille femme qui fait la sieste avec un homme barbu et décharné. Quel joli spectacle croyaient-ils donc offrir en s'étendant ainsi en plein jour ? Si c'était la nuit, il n'y aurait rien à redire ; alors, les gens ne peuvent apercevoir votre figure ; ils sont d'ailleurs tous couchés, on n'a donc pas besoin de rester sur pied de crainte qu'ils ne vous trouvent laid en vous voyant dormir.
Deux choses :
1. On dirait cela écrit par tout le monde. Réaction un peu trop automatique de l’intemporalité de l’oeuvre … voir Notes de chevet Remix de Junko Sakuraï, pour mémoire.
Une pareille femme au décolleté montrant une peau fripée par le soleil avec un homme barbu à la Nabuchodonosor tatoué jusqu’à la nuque, sacs d’achats UNIQLO en mains, tous deux en bermuda teeshirt comme leurs arrières-petits-enfants.
C’est Sei Shonagon qui revient en métro de Ginza diurne dégoutée de ce qu’est devenu le quartier. Un sac de Mitsukoshi à la main.
2. Alors que l’obsession de l’écrivain plutôt blanc de peau au Japon est d’écrire SUR le Japon - une condition implicite pour intervenir à la Japan Writers Conference, Madame Shonagon pointe le doigt vers quelque chose d’essentiel : pour en finir d’écrire SUR le Japon quand AU Japon, il faut commencer par écrire AU Japon, et tuer le SUR, c’est à dire procéder à une sorte de “dénationalisation”, de “déséxosticisation radicale” de l’écriture. Ne plus parler de la chose. Ce qu’écrit l’outrée Shonagon collerait d’ailleurs parfaitement avec un tableau vu aux Buttes Chaumont à Paris. Le Japon n’y est qu’un fond d’écran.
#### Grenoble punk
La fin proche de la lecture de Grenoble Calling - une histoire orale du punk dans une ville de province 1980-2020 - évoque plusieurs chose.
1. C’est un livre poignant.
2. Il n’est d’aucun besoin d’avoir vécu cela ou d’avoir un quelconque intérêt pour la musique en question.
3. Le sujet est le “faire” …
4. … en trombe.
5. Et donc, l’inspiration qui en découle est géographiquement hors sujet.
6. Se procurer ce genre de livre à un prix d’acheminement honnête va être rendu impossible, ce qui va impacter sur le soutien - géographiquement hors sujet aussi - de ces micro-maisons d’éditions qui font cogiter, rêver, et qui souvent intriguent.
#### Ce qui s’est vraiment passé
Une soirée assourdissante, une source d’acouphènes s’ajoutant sur celles chroniques. Ce qui s’est vraiment passé est le lendemain l’objet d’opinions un peu divergentes : une tablée de collègues à droite, éméchée par l’alcool et son spectacle associé dont la signature essentiel est le niveau décibélique majeur avec éclats de voix et rires en rafales.
A gauche, notre tablée. La distance entre les deux tablées est nulle mais un mur invisible existe. _Déshumanisation_ totale est le terme le plus récent en mode débriefing, à propos de cette totale ignorance de l’impact du grabuge d’une tablée sur la notre. Mais cette déshumanisation devient bientôt réciproque quand S excédée entonne d’une voix de stentor un chant bien plus assourdissant que le brouhaha d’à côté, un chant guerrier que cette autre tablée là ne peut comprendre comme la langue utilisée - invectives en français improvisées - n’est compréhensible que par notre tablée.
Le coup d’éclat de S en laisse d’ailleurs plus d’un bouche-bée, quelque chose de l’ordre de la sidération face à la nature aberrante de la situation, qui débouche encore plus sur une absurdité totale, un truc noir d’encre, sans fond ni fin.
Ou, hors affects en mode anthropologique, sur un mur d’incommunicabilité avec un point d’interrogation massif. Ailleurs, on n’aurait pas pu éviter les invectives en retour si pas le début d’un raout. On en serait venu aux mains. Mais justement, rien, absolument rien ne découle du torrent vocal de S sinon qu’une brève accalmie.
L’échec est total. Deux tablées d’animaux différents boivent à la même source (imaginez une savane), l’une en état d’ébriété braillante, l’autre en état d’exaspération par tapage en établissement de restauration. Mais rien, rien ne se passe. Deux sidérations se repoussent. Oui, c’est de répulsion réciproque dont il s’agit.
J aura bien discrètement tenté une entrée en contact pour engager le dialogue, le dialogue n’aura pas lieu. La troupe crée entre elle une zone de non-droit d’existence d’ailleurs autre sinon que par une ignorance totalement imperméable du ressenti possible de la troupe d’à côté, comme si deux équipes de supporters adverses ne pouvaient envisager même un instant d’entrer en un dialogue brutal.
On est bien entendu en droit de se demander ce qu’il en aurait été si notre tablée aussi fut japonaise. Y aurait-eu une sorte de compétition sans aucun regard vers l’autre rive à qui braille le plus? Y aurait-il eu contact, tout contact possible? Le groupisme engage certes à entretenir une indifférence murée des impacts de ses comportements sur les sphères proches autres que la sienne, mais comment cela peut-il atteindre un tel degré d’indifférence total de l’autre chosifié et réciproquement, au point que même la violence verbale en retour, même le recours à la violence physique ou à sa menace d’exécution n’ait pas lieu?
Justement, par la chosification de l’autre qui n’est alors qu’un paysage humain, une déco.
Plus tard sur l’avenue, S épuisée d’affects me confie que Tokyo est une ville où il n’est pas possible d’exprimer sa vulnérabilité. Je ne suis pas sûr que l’expression soit précisemment ce qu’elle a dit alors, qui m’échappe en partie maintenant, mais je crois bien qu’elle a utilisé le mot vulnérabilité.
Je ne suis pas sûr que devenir chose est un possible exclusif à cette ville. Je ne suis sûr de rien.
Le lendemain, on est allé s’excuser au restaurant où les excuses furent réciproques.