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Des cartes et Tokyo

 

Art-chantier - Chantier-art

Sur Google Maps, on peut afficher en conséquence d’une recherche spécifique les signes symboliques de 川、坂、公園, soit rivière, pente, parc ou square ou jardin. Soudain Tokyo change, et toutes les villes d’ailleurs. Mais on ne peut pas à priori faire en sorte que ces indicateurs soient visibles en permanence. On ne peut pas les mailler. De la même manière que l’on ne peut pas à l’opposé ne pas afficher les commerces qui sont la raison d’être de la représentation cartographiée parce que la consommation est la raison d’être parce que c’est la vie parce que c’est-comme-ça. 


Parce que, énoncé sans objet, permet pendant un très bref moment de retomber en enfance. 


C’est à dire que cette carte est d’abord une carte consumériste, où le territoire est avant tout à consommer, avant tout, plus que tout, totémiquement tout. Dans un ouvrage, Cartographie et Littérature, de Laurence Dahan Gaida, Presses Universitaires de Vincennes - super bouquin - la carte numérique n’est mentionnée que comme un outil de navigation. Sa stratégie d’imposition consumériste est totalement ignorée. C’est Bernard Stiegler je crois dans une conférence ou un débat qui s’étonnait de l’absence de la mention, du mot même de _marketing_ dans la critique de société. Hormis que dans la vacuole prévu de l’exaspération, cage de confinement mental. 


Afficher les 川、坂、公園 laisse songeur, parce qu’immédiatement, quelque chose évoque le territoire autrement, quelque chose qui est de l’ordre du rêve éveillé, la carte étant un vecteur de choix de l’acte immobile de songer.


Il suffirait donc de réordonner les informations affichées, affichables, pour personnaliser sa carte et ses cheminements à soi, et sortir ainsi même un peu des schémas consuméristes. Ceci n’est pas admis. Sauf dans la carte mentale. 


Défaire voir de Sandra Lucbert. Le programme estival si le temps le permet sera une lecture annotée de l’ouvrage, des chapitres un et trois. J’ai déjà mentionné je crois la densité du propos dont les énoncés sont numérotés. Il me faut s’arrêter après chaque énoncé tellement la charge est lourde, et relire chaque trait plusieurs fois. Si l’on cherche, avec difficulté sur Google, l’occurence du mot “colère” dans les écrits et interviews de Sandra Lucbert, ou en rapport avec l’autrice, on y perçoit une constante. Dans Défaire voir, elle mobilise en brèves fulgurances les Lettres du voyant de Rimbaud. C’est à la fois cinglant et frustrant par l’absence du texte qui méritait de figurer en annexe, qui intensifierait ainsi le propos. 

On vit une époque formidable. Je suis allé imprimer à 7Eleven un pdf des Lettres du voyant pour le prix d’un onigiri. 

Quelqu’un a-t-il écrit sur la privation de la colère dans le Japon contemporain? Oui, des chercheurs, beaucoup à priori. Cela commence dès la garderie. 

Ouf


Un truc de ouf. Un certain Keita Wojciechowski, cuisinier en Europe, de mère japonaise et de père est-européen, a publié à compte d’auteur un pavé de plus de 500 pages intitulé Culinary Encyclopedia of Japan, volume 1. C’est encyclopédique et se permet des franchises impensables s’il s’agissait d’un ouvrage purement japonais. Il y est fait mention plus d’une fois des rapports entre plantes de cueillettes et disettes, famines. Une variété contemporaine de colza est mentionnée en passant comme fixant une partie des déchêts atomiques dans le département de Fukushima. Il y avait A Dictionary of Japanese Food de Richard Hosking, livre de grande poche qui tient toujours la route, où est cité le dictionnaire 調理語用辞典 The Dictionary of Cookery Terms. Le pavé de Keita Wojciechowski est un truc majeur, un monde entier.