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Les nouvelles géographies

1.

Le promontoire à Takinogawa au-dessus d’Oji. En mémoire soutenue par la carte, bientôt soutenue par l’in situ, si secouée la torpeur de ce premier matin de printemps. Y aller. Un dimanche. 


2.

Le Pont Sans Bruit. 音無橋. Tout un programme. Non, retirer cette expression niaise. 


3.

Revient en mémoire alors que visitée une seule fois la promenade aménagée de vert, végétalisée, le long des premiers cent mètres de la rivière Shakujii encaissée en contrebas. Un paysage qui reste notoirement décalé par rapport à l’idée d’une mégapole.


3.b

La consultation régulière et fine de la carte nourrit avant tout le présent, et avant tout tout la capacité de nommer les lieux, et d’apprendre comment nommer les lieux alors que sur place on en était encore bien incapable. Cet apprentissage géographique à-postériori est un aspect remarquable, une nourriture de l’écrit, qui lui vient plus tard. 


4.

Le dimanche à Tokyo, tout est ouvert, sauf presque tout qui me nourrit le quotidien qui est fermé le dimanche.


5.

Vient s’insérer la lecture du court Viande Froide d’Olivia Rosenthal, le CentQuatre à Paris, vu une seule fois, mais ainsi réactualisé, remis à jour, c’est à dire réinscrit dans la possibilité du présent. Ce que le texte fait à la réactualisation qui court-circuite la nostalgie, la carte y contribue. Et puis il s’agit d’un récit où la technologie - du gros oeuvre architectural - entre en jeu, qui m’est d’un grand intérêt.


6.

Viennent s’insérer très tôt le matin des photos en rafales enchanteresses de Beaumont Le Pertuis que tu m’envois, rafales qui signifient regarde! éperdu du besoin de partage, ce que j’imagine être les 7 Lacs ou à proximité, avec au final un ciel étoiles et lune. Là aussi, une pseudo-remise à jour opère. Remise à jour qui porte ainsi même sur des lieux pas visités. Dans la découverte des ressentis des nouvelles géographies, quelque chose persiste, quand braqué sur la carte, se rappelle en mémoire la magie de faire tourner un globe terrestre sur son axe et songer. Les nouvelles géographies perpétuent le songe, fonction essentielle de la carte.


6.A

Booking.com : Things to do in Beaumont Le Pertuis : rien. Y être.


7.

Sur deux ou trois clichés, je vois ces dalles éminemment du sud, couleur ocre qui immédiatement remuent le souvenir de la fraîcheur aux pieds. La campagne au nord de Milan. On avait eu les mêmes en version beige miel, c’est à dire miso blanc, italiennes, dans le salon à Tokyo, qu’il avait fallu retirer, faire détruire, pour accéder aux canalisations usées en sous-sol, les remplacer par du non-durable, puis recouvrir le tout de simili-italiennes ratées fabriquées dans un très vaste pays d’Asie, comme le stock des dalles d’origine était épuisé.


8.

Tokyo Guest House Oji - le café - est un lieu parfait pour une version itinérante d’une résidence en mouvement d’écriture - ou résidence d’écriture en mouvement - à Tokyo. Il s’agit d’élaborer un réseau de stations pas christiques hein.


8a.

Eléments d’un résidence itinérante d’écriture à Tokyo :

- des destinations

- des rencontres à destination

- des récits à destination

- des récits en échange à destination


9.

M pas vu depuis près de deux mois a maintenant au moins trois cernes sous les paupières et s’excuse toutes les cinq minutes pour aller tirer un clope dans la ruelle. Avant, c’était dix minutes. Avec le panneau coulissant du petit espace où boire debout ouvert ce jour sur le printemps, et un autre homme du même voisinage, alors qu’en arrivant je croise l’enjôleuse K qui un peu pompette est en train de régler son compte à la caisse au comptoir, nous réitérons avec succès une ambiance réminiscente du printemps 2020 ou 2021, quand le confinement recommandé était appliqué avec un franc succès. On se sépare chaudement d’une poignée de main. Avant cela, S me rend la petite boìte en plastique avec couvercle où j’avais mis en prévision de la dégustation des petits cubes de conté pour prouver par le bien-fondé de l’association avec un saké. Je lui demande comment étaient les restes. Elle me dit etrangement que son mari a tout mangé. Elle m’offre en remerciement une petite conserve en verre de champignons gluants en saumure legère.


10.

Ils me demandent avec une touchante ingénuité pourquoi les Japonais portent-ils encore des masques. 


10.a

Ils ont la raison pour eux.


11.

Ma réponse à leur question : Parce que.


12.

En parallèle et en conséquence à Colère et temps de Peter Sloterdijk vient s’insérer The Discovery of the Mind de Bruno Snell. Trop de lectures pour en venir à bout. 


12.a

Sur ce sujet, quid d’une rencontre mensuelle ou plus de commentaires de lecture? Je suis pour.


13.

Dire encore du bien de Geisha, de Liza Dalby. Un truc d’actualité géographique à soi. Le Crystal Palace de la première exposition universelle à Londres figurait un sol à fines rainures permettant la chute en contrebas de poussières et scories apportées par les visiteurs. Le balayage de nuit avait été envisagé, mais jugé pas nécessaire suite au constat que les robes longues des dames qui touchaient le sol faisaient office de balayettes. Avec les kimono de geisha aussi. 


14.

Il y a une persistance à s’étonner de la faiblesse pour le moins de l’anglais au quotidien une fois que d’arrivant dans ce pays, persistance bientôt diluée, flouée par la présence lancinante de messages et d’annonces multilangues dans les couloirs du métro et sur les quais. Faiblesse, et pas seulement de la langue anglaise mais bien sûr, des dynamiques opératoires des échanges et dialogues, surtout professionnels. C’est réciproque. Il y a persistance à découvrir ces évidences au moment des recrutements, ou après quand l’incompréhension domine.


“Moi, comme je suis finisseur, je reste sur le chantier jusqu’à la fin. Je suis le dernier à partir, j’ai de la chance je vais le voir entièrement terminé alors que mes collègues ils vont pas le voir. Quelquefois ils me demandent, quand j’arrive sur un nouveau chantier ils sont déjà là, ils me demandent, alors c’est comment, c’est beau, c’est joli, on peut aller voir ? Ils me demandent et moi je leur réponds.

 

La transmission est affaire de conversation.


Viande froide

Rosenthal, Olivia


De transmission, y en n’a pas.


15.

Ce qui expose un fait majeur redondant : il n’y a pas transmission, parce qu’il n’y a pas de retour et partage d’expériences. Ainsi se perpétue un cycle de découverte suivie d’amnésie. 


16.

Ils me demandent pourquoi cette faiblesse endémique en anglais.


17.

Parce que.


18.

Sauf à la boulangerie café Matsumura où ils s’en tapent de l’anglais et de tout ça et vendent des pains à une clientèle internationale jeune - preuve quà Ningyocho ne se cache pas une foultitude de locations temporaires.  


19.

A 24 degrés, tu t’habilles en été et tu jettes un oeil inquiet sur l’appli d’affichage de température au thermomètre-globe mouillé. Globe mouillé, globe mouillé. Incantation. 


20.

Les difficultés respiratoires ont duré approximativement tout le temps de la démolition de l’immeuble voisin qui bien sûr n’est pas en cause.