Accéder au contenu principal

Familiarité



En arrivant à la boutique de saké, je vois le local mouchoir de poche attenant, lumières éteintes et remplis d’un fatras de cartons et caisses de liquides. Comme la mission consiste à choisir une bouteille de Noël, je signale à S. que goûter dans ce bordel ne me dérange en rien. Le lieu fétichisé avant et pendant le covid sur la base de l’expérience d’une fréquentation avide, et donc avant la transformation en micro Apple Store qui suivit de peu la fin apparente du virus et cette course en surplace essentiellement, signature classique du mouvement dans l’espace de bureau japonais tant de fois observé et consistant à exposer aux collègues l’énergie et la probité dépensées à cet instant même dans un théâtre de l’inutile, mouvement théâtral donc qui se traduisit par une reprise en main du présent signifiant l’effacement total et sans consultation aucune des habitués du passé ribosome dans le présent routinier agréable et réparateur d’un lieu apprécié par ceux-ci parce que justement immuable, n’était en rien bordélique. Ce casi-cagibi visuellement riche et confus, boisé de par la couleur de la table oblong à bords arrondis en bois chaud de vernis épais, le plafond et les étagères hautes en mode fatras prétendant l’intention d’un rangement assidu comme une promesse de printemps abandonnée fin mai de tout et bien ranger, avait ce côté fumé  de boisures que l’on retrouve dans des maisons très anciennes, qui participe fortement au sens de la familiarité. Familiarité est justement le nom. On y était comme chez soi immédiatement, comme on n’est pas chez soi dans un Apple Store. Sauf s’il est encombré de caisses et de cartons de bouteilles de boissons posés là à la va vite en attendant d’être déplacés ailleurs. C’est cet “en attendant” qui a désamorcé le spectacle fonctionnel du lieu en le reliant brièvement si pas visuellement à ce qu’il était, et donc à ce qu’il peut encore être, non pas dans la nostalgie mais dans son extraction du morne et du regret sinon rien, vers le moment présent, maintenant donc.

Rien ne m’inspire particulièrement sur l’ardoise figurant la sélection de cinq sakés du moment. Je choisirai au final et après l‘avoir gouté dans sa version filtré une bouteille au nom de Lune d’hiver, mais dans sa version moins filtrée, un peu neigeuse, comme il sied, qui se révélera un peu trop doux et peu neigeuse, en tout cas sans comparaison avec une semi-sphère de verre rempli d’un mystérieux liquide dans lequel scintillement des éléments épars et brillant qui bientôt vont recouvrir une tour Effel. Sur le WA:IN, hormis le jeu de mot, c’est gonflant aux papilles que d’associer des ferments (vineux) à un saké en devenir. L’expression de l’hédonisme n’ira ici pas plus loin.

Occuper le terrain parallipédique, c’est occuper deux faces opposées. Les latérales sont pour la déco, la sensation 3D. Karyn Nishimura Poupée dans son dernier ouvrage au titre apoplectique prévient que la perfection n’est pas celle que l’on sait. Donc que l’exactitude des trains et la livraison rapide des bagages à Hanéda - alors que Roissy, je vous dis pas! - n’est peut-être pas la condition du bonheur pourtant mesuré par des instances internationales qui placent bien en bas de l’échelle le pays du soleil levant qui n’est pas le ressenti des touristes béats, qui n’est peut-être pas la conséquence de la perfection qui n’est peut-être pas si parfaite que le spectacle que viennent voir avides - pour les garçons, acheter un couteau à Kappabashi au risque de rater son voyage, pour les filles le port de pseudo-kimonos pour la photo souvenir des boutiques “à faire porter le kimono”. Peut-on se cosplayer en Bretonne à coiffe au Mont Saint-Michel? Karyn dans les premières pages gratuites assurent toujours aimer le Japon. Elle n’a pas lu Donald Richie sur le sujet, ou elle fait semblant. Tallandier lui a dit de faire pour la masse. C’est fait. _Japon, la face cachée de la perfection_, titre splendide d’ineptie calculée, donc d’intelligence marketing, face opposée de l’ouvrage d’origine suggère bien qu’un parallélépipède, cela se monopolise en ne couvrant que les deux faces du sujet.

####Mais ce n’est pas tout



Vient s’immiscer en interstice de la lecture en cours de La littérature embarquée de Justine Huppe en page 71 la mention d’une résidence d’Olivia Rosenthal qui - louée soit-elle plutôt que vendue - n’a pas fait sa pamoisée à la Villa kyotoïte, ni sans doute à l‘Espace 1789 de Saint-Ouen, la mention dans le livre, mention-trace dont je parcours du regard maintenant en parallèle de cette écriture-ci la trace sur la master carte Google, parce que nous étions passés devant il n’y a pas si longtemps en route et de retour du bureau de poste proche, où le personnel jeune était d’une grande serviabilité et sympathie à condition de bien se caler sur sa coolitude qui imposait un rythme lent de postier d’autrefois se croyant moderne - passage donc répétés plus d’une fois nous chargés comme des portefaix avec des kilos de papiers à envoyer à Tokyo, et que ce lieu pas visité, l’espace 1789, pas fréquenté, mais juste remarqué puisque sur le chemin avait attiré l’intérêt; (enfin un pont virgule!) je m’étais approché de l’entrée voir le calendrier des projections, apercevoir l’espace café à droite qui m’avait eu l’air seyant, nous n’étions pas entré, était-ce par manque de temps ou simplement parce que l’endroit n’était pas ouvert à ce moment - c’est je crois la seconde raison - tout ceci qui non pas dans ma tasse de thé mais à la terrasse de Waseda reprend forme, et mis à niveau comme que l’on dirait d’une appli, comme si la nostalgie est devenue maintenant une appli réajustable au présent, un peu comme le mouvement mécanique d’une horloge - imaginez une grosse clé de bronze à la main s’insérant dans le trou d’accès au canelé de la pointe de l’axe solide autour duquel s’enroule forcé et forçant à contre-sens le ressort de métal plat - horloge toujours à l’heure à condition de l’entretenir en la mettant à jour grâce à des bribes, des airs de rien comme cette mention dans l’ouvrage maintenant plus familier parce qu’il parle de quelque chose de connu même si juste en passant.

####Kyoto, burakumin et l’accent qui n’en ont pas de Gifu

Virevoltante les conversations hier soir autour de la table. K. se remémore ses sept années passées à Kyoto, années pénibles, ostratisantes de par le milieu kyotoïte célèbre pour son ostracisme, comme ailleurs mais ici en mode ancienne capitale impériale fière, qui, il nous explique par le menu, exclut vers le bas tout individu pas né dans les quelques territoires centraux au nord de la gare qui sont le Kyoto sinon rien des vrais Kyotoïtes. Et comme il les a certainement fréquentés, il mentionne les français résidents, citoyens d’honneur qu’ils confèrent à la ville toujours en quête de reconnaissance dont elle n’a pas besoin de par son imbuïté, mais qui est toujours bonne à prendre si en plus l’autre est blanc. Je lui dis qu’il y a matière à écriture. Il nous parle du Kyoto des burakumins, de comment cela suinte dans divers axes du Kansaï, que cela est toujours vivant - et pourquoi cela ne le serait pas? G elle n’en manque pas une pour nous faire son onewoman show de ses rencontres provinciales, du mépris des patois, de la dame de Gifu qui dit avec aplomb qu’à Gifu il n’y en a pas en accent chantonnant. Cela donne envie de retourner à Kyoto, Gifu can wait, mais sous un tout autre angle, au sud de la station repoussoir à flux tendus, là où ça craint, un peu.