#### L’expérience de l’espace
L’expérience contemporaine de l’espace est l’expérience consumériste, et ce, à tous les étages, les strates, les classes sociales. Les enseignes mêmes non lisibles sont les objets dominants du parcours en ville. Dans le métro à Tokyo, pire paraît-il ailleurs dans certaines destinations mégapolitaines, c’est d’un matraquage dont il s’agit avec tout pilier bon à la tâche de se faire placarder d’écran larges et ultralumineux où s’exposent des heureux que l’on sait parfaitement de théâtre. Dans le métro, le regard passe d’un écran à l’autre, bas au creux de la main, haut sur la balustrade du wagon où quand cela tire, cela tire à trois écrans contigus. Il devient d’ailleurs difficile parfois de trouver le nom de la station qui vient, encore plus à travers les vitres du wagon encombrées de messages sémaphoriques.
Mais dehors. Thomas Clerc à Paris fait usage de la vindicte façon aiguille vaudou au sujet d’un immeuble qui ne lui plait pas du tout en tirant une rafale de “A Faire Sauter”, voire même “A Faire Sauter d’Urgence”. S’en prend-il jamais aux enseignes, au commerce, à la finance donc? Est-ce mettre le doigt dans un engrenage légal avec ruine garantie au final que de s’en prendre littérairement à une enseigne, le KFC ou le MacDo de Koenji, le nouveau café beige béton mujiifié en les vouant à la géhenne pointée d’un doigt rageur et d’une condamnation, un souhait seulement, que le TNT en vienne à bout? A Faire Sauter d’urgence ne serait-il pas simplement une petite pose de bourgeois ergoteur auteur bien pensé moucheté - une expression d’entre-soi de connivence - faisant dans l’audace scripturale mâtinée de retenue? Une non-prise de risque? Tu te vois écrire au sujet d’un débit de jambon sur une colline de Tokyo que tu souhaiterais le voir explosé comme le Picard plus bas façon attaque de missile? En plus si tu vas t’approvisionner en cochonnailles dans cette boutique précise ou en épinards bretons figés à -18? Certes, les cibles sont légions, la librairie Passage, où l’on loue un espace étagère comme au columbarium, mais avec de la profondeur, pour exposé sa fatuité culturelle, à vendre, son édition unique, sa bouteille de whisky pur jus, et pourquoi pas l’urne avec ses cendres? Pour voir ce qu’il y a dedans, scannez le QRCode et entrez en contact avec un spectre.
#### Tokyo : zone à écrire
C’est quoi ça encore? Tu sais que tu radotes?
C’est ce truc de Sorbonne Nouvelle. Bien sûr que ça travaille. Vas relire ici.
Ah ouais, zone, un truc tendance, comme tous ces cafés avec Base dans l’intitulé qui sent son Projet, sa Communauté, ses Vélos bien rangé à l’Entrée, son ouverture d’Esprit, ses Grains Single Origin, et qu’implicitement tu as que 30 ans maxi depuis ta naissance. On y parle peu, ou alors Vélos sur la devanture Grain de Café d’Origine Unique - goût de fraise des bois, de banane, de Skaï mouillé.
Oui mais, ça travaille, malgré tout. Le risque bien sûr est que cela reste au niveau du ça Travaille, et vas-y que je reprends un Latté, et puis rien. Un peu comme ces remugles sur un espace boueux volcanique où ça fait des bulles, des bulles qui éclatent en air chaud.
Mais au début et au final somme toute, la CondiTion SIné Qua Nonne pour s’infiltrer dans la Zone, c’est de percer le mur, ou devenir étudiant.
C’est donc fermé leur truc d’ouverture? Non, conceptuellement, mentalement, c’est ouvert. Il n’y a qu’à se baisser, ramasser les châtaignes tombées sur les feuilles mortes - tu entends le bruit de tes pas qui font chui chui, qui fourragent dans le volume de matière végétale crissante? N’a qu’à se baisser et prendre ce qui sied, qui intrigue.
Parce que tu vois, ils placent au centre le Lieu, l’immobilier, le morceau de capital en dur. Alors qu’à Tokyo, on n’a pas de lieu dur, mais on a Tokyo. Et il s’agit donc mentalement et en actes de prendre la ville-Tokyo comme le lieu, étendu - je te dis pas le ménage - d’y intégrer la donnée massive contemporaine qu’est la mobilité. Oublier donc le fait qu’il n’y a pas de Base mais bien une Zone, d’écriture.
Tu vois, on peut prendre les trois premières ligne de leur intitulé sorbonnard, et à 10 000 km de là, faire une petite modif.
Original :
La zone à écrire serait un lieu d’hospitalité pour quiconque veut écrire, ou en parler, ou lire ce qui a été écrit, ou dire ce qui s’écrira.
Un lieu et un moment où l’on peut écrire à l’université.
Unique :
La zone à écrire à Tokyo serait un lieu sillonnant d’hospitalité pour quiconque veut écrire, ou en parler, ou lire ce qui a été écrit, ou dire ce qui s’écrira.
Un lieu et un moment où l’on peut écrire à Tokyo, dans toute la ville donc.
Tu vois, ils continuent avec ça :
Mais peut-être que l'écriture pourrait être propice à l'université. Peut-être pourrions-nous en écrivant interroger, transformer le cadre où nous écrivons, en saboter, au besoin, le fonctionnement actuel.
Ils se grisent un peu là mais c’est de bonne guerre à supposer qu’il y en eut des mauvaises, que de se faire frissonner avec un verbe comme “saboter”. Pas de risque, sauf que de déclencher une caméra de surveillance et l’enregistrement automatique de la voix dès lors que sont détectées les premières syllabes de termes proférés faisant partie d’un glossaire secret et en expansion d’expressions ailleurs interdites.
On sabote, mais conceptuellement. Et on se reprend un Latté. Et on pose devant son alcôve à la librairie Passage comme justement on passait devant, Passage comme Métastase de l’exposition de soi associant l’espace concret à tous les Métas à venir.
La zone à écrire sera tout sauf neutre. Nous y chercherions la dimension politique de l'écriture.
Non pas parce que l’on y écrirait particulièrement sur des sujets politiques ou que l’on y serait des écrivain.e.s-engagé.e.s, mais parce que la décision d’écrire ébranle un ordre.
Et qu’est-ce qu’elle en (é)branle Amélie? D’un coup de bouton, tu ponds le volume de l’année suivante selon la Cha(r)te Gépété. Je ne serai jamais belge.
Non mais ça n’empêche pas de te faufiler comme un chat dans les ruelles et goulets piétons de la capitale le soir qui ne dort jamais, tout en te disant cinq minutes à peine après l’atterrissage : je sais.
Mais tu t’écartes par des voies d’échappement.
Reprenons.
Dans la zone à écrire, l’écriture serait une arme de destruction massive de l’autorité et de la hiérarchie …
Tu vois, c’est un peu comme AFS/AFSU qui ne sont pas les sigles de syndicats. L’usage d’un vocabulaire d’armement - terme déclencheur système focale d’intérêt - est un peu fort de café d’origine unique peu torréfié qui te fait un liquide semi-transparent faiblard où l’on voit les carpes évoluer dans la tasse.
Mais cela reste intéressant. Mais cela n’aborde pas la question des murs, et donc du hors-les-murs, et donc de la ville en grand. Tokyo - Zone d’écriture prend cela à bras le corps et demande où écrire à Omotesando sans faire son péteux/pétasse de magazine life style. Dans un salon de coiffure peut-être.
Comment réifier l’arrondissement de Koto zone mortifère?
Et puis ce terme Zone déjà, c’est encore plus sensible qu’armement. L’énoncer mériterait de basculer en mode tracking automatique pour suspicion de sédition à venir. Tu sais, Zone comme un espace annulaire autour de Saturne ou Paris, coulé dans le béton. L’image ne colle pas avec Tokyo.
Mais tu sais, Jacques Réda, sa zone à écrire hormis son coin table avec machine à écrire, c’était et ça reste la ville et sa banlieue, en marche, anciennement, en solex. Donc, hormis l’envie d’écrire le banal “il était en avance sur son temps”, on peut aussi dire que son index que tu zieutes fada pointe vers la réponse sur où situer une Zone d’écriture à Tokyo quand on n’a pas de lieu dédié. C’est que rabaisser Zone à un bâtiment universitaire donc fermé, ça a un côté déplacement conceptuel un peu beaucoup tiré par la fausse barbe. Pas vu encore de café avec Zone à la place de Base sur le fronton. La Zone à écrire à Tokyo s’immisce dans plein de coinstauds bizarres, à condition d’y penser.
Tu vois là encore, je cite : Inventaire des lieux où l'on n'écrit pas (et comment y écrire) ;
… parmi les pistes évoquées. Ça en particulier, ça résonne. Parce que si écrire dans un café c’est has been à revenir lors d’un prochain virage tendance, quid d’écrire au fond de la boutique caverne aux trésors de bric à brac d’ocazs et jamais utilisés? Je pense bien sûr au magasin Daiei à Minowa dont la visite m’équivaut à celle d’un temple. Comment être autorisé à écrire au fond avec les guitares et basses d’occasion, les baises-en-villes peu usagés, le plastique des années 70 et quelques VHS pornographiques en manque de lecteur de cassettes?