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Itabashi Timetrip



Comment se fait-il? Je ne sais pas, quand évoquant pour soi ce qu’il y a de poignant à déménager me vient invariablement le déménagement de C qui avait quitté Paris, qui avait quitté la rue des Chantiers pour le sud de la France. Le sud.

Le poignant est lié à l’expérience d’avoir vécu brièvement et plusieurs fois dans cet appartement, d’en avoir eu les clés, d’avoir obtenu la confiance d’occuper son espace comme bon nous semblait, en conséquence de quoi, s’y réveillant le matin, on avait à travers la fenêtre éminement européenne un bout de ciel occupé en partie par un bout de toit éminement parisien qui fut plusieurs fois sujet de photos. C’est ça l’authenticité, voir progressivement dans la pénombre qui s’effiloche apparaître les surfaces, du plafond, les moulures aux coins de la pièce où l’on ne dort plus que vaguement alors qu’il ne fait pas encore 6 h du matin, rester un peu en suspend à la vue de ces matières, de ces couleurs, des odeurs aussi quand les matériaux sont odorants, comme c’est le cas dans certains espaces d’intérieur japonais anciens, et retrouver le mystère de commencer un nouveau jour ailleurs que chez soi.

Plutôt que de fouiller dans la foultitude de photos, le souvenir de celle figurant un vase fleuri à profusion posée sur la table ronde du salon, point nodal de l’hospitalité, avec derrière la fenêtre emblématique et les panneaux de zinc pentus suffit. C’est je crois la dernière photo que j’ai prise avant de quitter cet appartement, et aussi la même que C postera quelques années plus tard comme un point final à sa vie parisienne.

Pas gaie la suite, d’avoir appris que ses enfants y ont crêché un temps durant des passages de transitions intraeuropéennes, que l’appartement fut loué et sous-loué plus d’une fois, et dégradé en conséquence du mépris de l’espace chez certains avec valises à roulettes au point qu’elle nous conseilla à la fin de ne pas même penser y revenir vu l’insalubrité. Sur OpenStreetView, on voit les espaces intérieurs des immeubles, les cours de couleur distinctes des bâtiments, parallépipèdes d’espace neutres si évocateurs, le bout de la cours après la porte intérieure un peu lourde et grinçante et résistante à la manoeuvre d’ouverture, avec l’espace des poubelles vertes massives dans le local et dehors un robinet bas avec une grille de fer forgé et un peu de mousse et de crasse comme il se doit. Sans la crasse et sans la mousse, des robinets se lient les uns aux autres comme celui de la location diurne de ce ryokan à Zushi dont je ne retrouve plus le lieu exact, où laver le matériel de baignade en fin de journée, évacuer le sel et le sable des combinaisons, maillots de bains, planches, masques et tubas, ceux-ci assez inutiles, chaussure imperméables et tongs était un moment privilégié de pur bonheur, pour des raisons encore inexplicables. Dans le local, il y avait des tapis rouges pourpres au sol où l’on mangeait les bentos.

####Possession de l’espace

Il m’est possible d’évoquer la transition dans l’espace dès la sortie du métro jusqu’au haut de la colline à Oji en passant par le jardin montant avant même que d’y aller, et après y être allé, comme si cette portion d’espace était devenue aussi familière qu’un chez soi qu’elle est. 



#### Itabashi

L’idée était de prendre le poul d’un territoire de Tokyo pas fréquenté, une rareté ces dernières années. Insaisissable avant tout, anémique peut-être parce qu’un dimanche; des rues en marche qui par spots me rappellent le sud de Mitaka, ou quelque part à Kita-Senju. Mais l’impression ne dure pas. Je retrouve un peu du souvenir topographique d’être passé là une fois, il y a huit ans, un soir en compagnie d’Y pour aller saluer G san qui venait d’investir sa franchise de bar VDS, le même G san que les petits-déjeuners glorieux à plusieurs ou solitaires à Shimbashi. Et juste quand je m’arrête à la devanture, il sort de la boutique pour me saluer. Cela fait huit ans donc qu’il tient. Aujourd’hui à cette heure s’y déroule une session d’atelier au sujet duquel il ne s’étend pas. Il faudrait revenir à 17h pour le début des heures de bar régulières. Je lui dis que je reviendrai. On se sert la main, signe d’émotion. 


Je ne m’étendrerai pas sur la pause café précédente. Il est impossible de se concentrer sur sa lecture quand à côté, on parle votre langue. Et donc après avoir sillonné quelques rues, mis en mémoire géographique encore faiblarde la position de la station JR Itabashi, je positionne mentalement Takasé vu tout à l’heure et décide de me refaire un café. Il se passe alors quelque chose. Tout tremble agréablement. Le paysage de cette sorte de demi-portion d’avenue qui mène à la station Shimo-Itabashi a un goût de quelque chose, d’une sous-préfecture de province anémique en France ou en Espagne dans les années 70. Les arbres y sont aussi pour quelque chose de pas clairement saisissable. A l’intérieur bien sûr, c’est flagrant rétro puisque c’est Takasé, mais ici beaucoup plus flagrant qu’à la maison-mère d’Ikébukuro où le facteur touristique joue. L’espace entre les tables est remarquable, du sans doute à un soucis sanitaire qui revient, ou n’a pas atterri depuis. Tout est seventies. Ne manque qu’une paella au menu et une boutique de boués et matelas gonflables de plage à l’extérieur. Le confort mental est remarquablement plaisant, parfait pour poursuivre la lecture de Grenoble Calling.

Ce péri-provincial de nombres de quartiers de Tokyo, pas le péri-intraurbain, pas la ville verte aux villas un peu cachées, mais le péri-provincial dans la ville, à peine aux marges.

Le vide du terre-plein, ou est-ce un rond-point, à proximité de la station Shimo-Itabashi.

Les quais, ample courbure.

Les trains, clim en berne parce que le règlement est en retard sur le réchauffement planétaire, le courant tiède qui circule entre les wagons, autre signature provinciale.

Tout cela à deux stations seulement d’Ikébukuro. Qui mériteraient tant et tant de développement.

####Lisez Grenoble Calling

Il y a dans l’écriture remémorielle des années punk un quelque chose à la fois de très tonique, requinquant en conséquence, et qui parle à soi, non pas par nostalgie, mais par association, que cela se déroule à Berin ou à Grenoble. J’ai écrit ailleurs que Les Trois Mousquetaires sont punk. Je réitère. Hormis la musique, on y trouve deux éléments fondamentaux : le DIY et la baston, avec les guerriers du cardinal. On y trouve même du sexe prudement évité dans GC, tout comme la consommation de substances à peine survolée. C’est de squats, de montages de scènes et de musiques dont il est question, toutes choses étrangères à mes expériences. Bien que le texte se conjugue au passé genre “je me souviens”, on y trouve, pas assez à mon sens, de brefs basculement, des flashs vers le présent de l’indicatif qui donne soudain ce que seul le présent est en mesure d’offrir : la fulgurance. J’y trouve aussi des verbes inconnus qui interrogent, en particulier le verbe brasser, dans le sens de faire et provoquer des rencontres multiples. GC est un beau livre qui colle bien avec le Takasé d’Itabashi ainsi sauvé. Dans une longue interview des auteurs sur Radio Campus Grenoble, l’un d’eux dit à un moment que ce livre n’a pas été conçu comme un document à usage interne, écrit pour ceux qui ont vécu cela. Je confirme. Ça résonne même à Tokyo.

#### Cure géomémorielle

Par mesure de cure géomémorielle, je trace une carte sommaire de points nodals dans un territoire qui pose le même problème d’ancrage en mémoire que Kanda, Ningyo-cho, Nihonbashi, et aussi Higashi-Nihonbashi pour faire bonne mesure. On a dans les deux cas une forme de genou, à la pliure opposée, qui crée un blocage de mémorisation. Le stade suivant sera de constituer une carte de boucles d’intérêt géographique, le stade ultime étant d’être libéré sur place de toute nécessité de se référer à un plan, être en mesure de humer les directions.