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Littérature allochtone - Extrait




(…)

Voici un terme à tenir dans la main, à palper, soupeser, caresser, frotter, humer même, lécher comme on goûte un galet, un terme à observer sous toutes ses faces, la main tendue vers le ciel avec le soleil aveuglant, sous une lampe douce le soir. Comment ce terme est-il apparu?

J’étais parti encore une fois sur une recherche dont je ne me souviens déjà plus de l’amorce, quelque chose de l’ordre de la littérature d’expression française au Japon. Coup sur coup sont apparues diverses choses intéressantes, mais allochtone est en fait venu en dernier après avoir modifié le tir de la requête pour taper littérature migratoire. Ce qualificatif ne m’est pas venu à l’esprit pour autant mais est apparu en cours de recherche, à un moment de survol rapide des résutats.

Parmi les traces, il faut retenir :

  • La fiche d’information du 12 juillet 2019 sur Fabula au sujet d’un appel à contribution pour une revue intitulée Alternative francophone avec un numéro consacré au Néojaponisme et renouveau contemporain des relations culturelles France-Japon (et donc la francophonie immédiatement réduite à l’hexagone...).C’est ici vers le bas que se trouvent les mentions de Littératures de migration ou d’immigration. Peu de choses ensuite dans une recherche rapide sur la distinction entre migration et immigration, mais comme l’appel datait de 2019, il suffisait de chercher la revue publiée depuis. 
  • Elle est ici en mode public. Un article sur Roubaud, encore, fait des bras et des mains pour ne pas citer clairement qu’il n’est pas japonisant autonome.
  • L’article The French Cultural Strategy and the Japanese Paradigm: How to Seduce in International Relations in the 21st Century réussit la boutade de ne pas citer une seule fois la Villa Kujoyama. Il sent son sponsor. 
  • Ailleurs est apparu une interview de Michael Ferrier qui est de fait incontournable dans la perspective d’une littérature allochtone, interview ronron habituelle, réponses à côté des questions comme un politicien.
  • C’est donc en creusant plus dans la veine littérature de migration que je suis tombé sur cette thèse Pour une poétique de l'entre dans la littérature de migration, auteure Valentina ANACLERIA, et l’apparition en page 14 dès l’introduction du terme :

L’axe principal de ce projet consiste en une comparaison, de nature philosophico-littéraire, entre les littératures de migration française et italienne– littérature qui se définit comme la narration produite par les écrivains allochtones.


C’est bien allochtone. On va se l’approprier. N’étant pas universitaire, le vocabulaire pour articuler la pensée me manque cruellement. Celui-ci ouvre des portes, renforce le bien-fondé de l’analyse et les propos développés sur Ecrirea.tokyo, élargie les perspectives futures, dilue les affects. Dans les liens connexes sur la fiche Wikipedia d’allochtone se trouve gaijin. Tout un programme.


Si la condition d’être d’une littérature allochtone - je préfère tout de même écrits au pluriel - est le phénomène migratoire, on peut sans risque énoncer que la précarité des écrits allochtones francophones au Japon est tout simplement dus à une absence de phénomène migratoire substantiel. Ce sont d’autres phénomènes qui entretiennent la production japonesqueou japonolâtre qui est surtout de l’ordre, dans la perspective du mouvement, du hors-solisme, de l’entre-soi dans le cadre de cet hors-solisme, et du va-et-vient de visiteurs de passage, ce qu’on a clairement nommé et délimité dans nos échanges comme justement de la littérature de passage. On pourrait multiplier les qualificatifs étroits qui ne renvoient même pas à des tendances mais bien plus à des épiphénomènes majoritaires, au risque d’en faire un peu trop, et surtout oublier d’aller voir justement ailleurs : littérature d’expatriés, littérature d’oligarques, littérature de traducteurs - qui elle va peut-être se développer dans l’univers de la langue anglaise. Cette liste n’est pas exhaustive.


Les visiteurs de passage qui écrivent et sont publiés - cela remonte à Barthes au moins somme toute pour le contemporain du siècle précédent - ont le mouvement contrarié par le virus, mais ils reviendront hélas occuper le terrain - avec la frange des influenceuses et influenceurs - et reconstituer le bruit de fond et de fronton qui empêche de penser des possibles autresdans le domaine des écrits. Il suffit pourtant de ne pas trop, ou plus du tout, les entendre. Je ne crois pas à la validité de les ignorer complètement pour autant. On a besoin de temps en temps de punching ball, de têtes à claques. Mais les brèches crées par cet arrêt intempestif du va et vient, il nous faut non seulement les maintenir ouvertes, mais les dilater encore plus en énonçant les écritures possibles, et aussi accessoirement en les produisant. Allochtone m’apparaît justement comme un terme catalyseur pour ce faire. Il va falloir déjà éduquer le correcteur automatique.


Dernière trouvaille en passant, The Emergence of Japan as a Western Text de David Ewick, une lecture condensée édifiante.