Que se passe-t-il une fois sur place?
Le 15 juin fut très précisément le jour où la température et l’humidité se sont liguées, ont basculé dans cette association à but de désagrément et malaise aigus. Encore 15 jours avant que l’été épouvantable n’explose.
Fuyons.
Faire l’effort d’entrer dans une nouvelle logique. Par exemple, écrire et publier plus tard, comme ici.
A Moritaya, M a vieilli ou vieillit très vite. J'essaie ultérieurement de faire sens du plaisir d’être là, de ne parler de rien en particulier. Parler beaucoup, mais de rien, mais parler beaucoup. E apparaît et la surprise est réciproque. Elle aussi a vieilli. C’est peut-être, non, sans nul doute, le moment où l’on vieillit vite. On tente en vain parce qu’à deux c’est mieux, de se souvenir à quand remonte la dernière rencontre. C’est un brin angoissant. L’année dernière en hiver? On parle santé, surtout la mauvaise, mais avec des encouragements réciproques, les maux de mars. C'est affreux ces pollens survoltés, empoisonnement socio-historique fabriqué. Parler santé est un grand signe de familiarité. Et sujet sans fin qui approuve la redondance mais finit par s’effacer.
E ne va plus à la gym tous les jours. La bière par contre, c’est tous les jours. Elle se fend même d’un verre de saké aujourd’hui, signe qu’il s’agit de marquer le coup de cette revoyure. On trinque à doubles tours. Je mets ici une photo avec M. Le grand angle de N rend l’espace bien plus spacieux qu’il ne l’est, aussi d’un ton jaune adoucissant qui n’est pas la vérité comme il s’agit de placoplâtre blanc, mais qui mériterait d’envisager une couche de peinture de ton italien.
S’exposer ainsi sur une photo au Japon en compagnie de locaux comme soi est un petit malaise. Bouvier l’a fait donc t’est pardonné coco.
Dans le musée d'hier pas visité, affreuse boîte glaçante, on m’a dit que s’y trouvent les clichés de Nicolas Bouvier.
Un autre dont je n’ai plus le nom, noir et blanc aussi, féru de cinéma japonais l’a fait dans un livre aperçu il y a quelques années. S’exposer avec des autochtones pour signifier qu’on y est, dans l’interaction, l’empathie locale, a quelque chose qui sonne son exposition hédoniste orientaliste. Au moins, N aura pris la photo discrètement, si discrètement que sa découverte viendra plus tard, en attachement Signal.
Pour marquer le coup, M propose ultérieurement de prendre un verre ailleurs, mais vraiment ailleurs, avant mon départ, comme si c’était un adieu, comme si la perspective des canicules ici et là-bas pronostique mal des conséquences délétères si pas fatales sur la santé, la vie même. Il m’a déjà imploré deux fois de lui envoyer des photos sur LINE. “Ça me fera des vacances”, traduction qui affabule sur l’humour embarqué de la version originale. Il se propose de venir avec quelqu’un, un inconnu de son travail, sans doute celui au sujet duquel il avait mentionné qu’il aurait pu venir ce jour même où l’on trinque ensemble.
Étant suprêmement conscient de ne pas vouloir faire le panda pour quelqu’un qui viendrait expressément me voir comme on va au zoo observer un panda, je ne poursuis pas dans la veine, juste espérant secrètement que cette personne ne viendra pas.
Elle ne vint pas.
Plus tard, je l’abreuve de photos, de vidéos même. Il est bouleversé. Sa géographie du quotidien est ébranlée.
Je propose à M qui est devenu soudain plus oriental que jamais - expression de blanc signifiant émotif - de tout simplement se revoir pour la dernière fois avant la prochaine en août au même endroit ici-même que d’habitude, dernière fois ce vendredi de juin qui vient auquel ne surtout rien changer, ne rien changer aux habitudes, en espérant qu’E apparaîtra au même moment pour que l’on poursuive nos échanges sur les mêmes sujets sans jamais se lasser, qui me permettront plus tard, dans l’avion peut-être, de ruminer sur ce qui fait et à quoi servent les routines d’habitués. Une des réponses possibles sur l’utilité de ces routines est le “faire du bien au mental”. Mais une routine avant que d’être utile se doit d’être pratiquée.
Dans les tiers lieux se déroulent des échanges tierces, avec des tierces personnes avec qui les affects contradictoires sont faibles, ou absents, ou perçus comme inexistants. Ils sont les acteurs et les ingrédients de la routine d’habitués, la routine pure de la socialisation minutée finement dans mon cas, ne restant sur place qu’une heure qui est la limite du confort de la position debout, ne buvant que 90 ml de saké, sachant parfaitement ma limite de l’acceptable, sauf quand comme la dernière fois une dame à chiens, petits, joyeux, jappant, une habituée avec laquelle il n’y a jamais aucun échange, se place dehors au petit comptoir impromptu comme la température le permet encore ce jour là, et, munie de cette sorte de briquet long à enflammer des bûchettes, s’en grille quelques uns, de cette poiscaille séchée aromatisée qui pue le poisson pas frais, ce qui ne me gêne pas, mais dégage étrangement une fumée peu visible dont l’odeur a un quelque chose de tabagique.
En quelque minutes, je suis victime d’une attaque de dyspnée assez fulgurante et d’une perte massive d’énergie. Quelques pas dehors jusqu’à un coin pour dégainer la ventoline en titubant - comment t’as fait sans Marcel? - n’auront aucun effet sur la situation qui se calmera quelques heures plus tard péniblement arrivé à la maison. Personne dans l’alcôve ne fut ainsi réactif à cette fumée, ni même les chiens piaffants, ni même N.
21 juin
Le vendredi suivant est un millésime. Une dame inconnue est là ainsi qu’un blondinet de teinture qui profère “bonjour” dès que j’entre, de quoi me mettre en catatonie. Il y a E aussi, l’E de la semaine dernière mais M est absent, et d’après E, il n’est pas censé venir ce jour comme il a sa visite médicale, bien qu’il m’ait confirmé le matin même sa présence comme j’avais annoncé vers 18h30 mon arrivée probable, qui eut lieu en fait à peine à 18h passé de 5 minutes. La dame a 86 ans et son état de santé rayonnant m’épuise en comparaison. Elle parle beaucoup, d’elle-même. Elle est enjouée, elle flirte avec le blondinet qui est un ami de deux ans comme un petit-fils - je le saurai plus tard en posant la question.
Il est coiffeur à Machiya, et son salon se trouve presque à côté de Phantom. Cela crée des liens de connivence géographique. Les gens sont charmés et amusés quand vous citez des lieux, des établissements de leur voisinage comme si vous-même étiez un résident pourtant jamais croisé. C’est d’ailleurs ce qu’ils pensent au début, citoyen de Machiya, natif de Minowa. La lecture intensive et sur le temps long des cartes surtout en mode révision, c'est-à-dire post-visites, plante dans la perception géographique des jalons forts.
Avis encore une fois au Chat de service de ne pas affabuler, de fournir des références référencées sur cette question par soi nommée de la nostalgie augmentée, aka, la nostalgie mise à jour par le suivi, à distance, de l’évolution de territoires connus pour y avoir été même en passant, ou longtemps il y a longtemps.
J’en fait d’ailleurs un devoir vacances qui durera ce qu’il durera :
Penser la nostalgie active, autre appellation à soi de ce quelque chose qui travaille depuis des années maintenant.
Il s’agit d’une reconfiguration active de la mémoire géographique et des émotions associées
La nostalgie devient non uniquement ou simplement (bêtement?) un état d’âme, un sentiment triste porté sur le passé, mais une action.
Et c’est vraiment la recherche active d’un activisme dont il s’agit. J’y viens par l’exemple bientôt.
Toutes les orientations de pensées contemporaines sur la nostalgie au 21e siècle que le Chat m’énonce, situées au croisement de la psychologie et de la technologie, d’abord la famille de technologies qui inscrivent d’autres présents dans sa propre géographie, ne me parlent absolument pas.
Il y est question de nous, de communautés en ligne passant de la cire (waxing) sur le parquet brillant de l’autrefois c’était mieux, parquet jonché d’objets vintages, de jouets à jouer affalés sur le parquet, de musiques, de films, de produits de la malbouffe encore alors peu présente. Il ne s’agit que de références de groupes inscrits dans la marchandise, donc dans le capitalisme. Alors que ce qui remue et remugle sur la question est strictement individuel et a affaire au minimum à la géographie, à la topographie, la texture des lieux comme on dirait de matériaux.
Il ne s’agit pas de jouer de la harpe sur les années 80, 70 ou 60, mais bien d’inscrire la pensée dans un mouvement de va et vient informé autant par des écrits, à minima hormis les cartes des analyses historiques contemporaines au moins, que par des intrants d'observation géographique, autant pour se remémorer que pour entretenir cette mémoire, que pour la mettre à jour, comme on dirait d’un logiciel. D’où le positionnement du terme dans la famille de l’action, pas seulement dans la stase douloureuse.
Souviens-toi est une injonction et une invitation impérative d’entrer dans l’action de se souvenir, de mettre en branle la mémoire sur la base de …
Justement, exemple à l’appui. Arrivent en direct trois photos de Paris avec l’injonction détournée en commentaire de “Quelle nostalgie!”, synonyme de “Tu te souviens?”. Et la mémoire qui s’est mise en branle par l’affect photographique provoque la réponse immédiate : le Jardin des Plantes, le Square des Capitans, la balançoire et les autres jeux sur le sol mou réducteur des chocs de possibles chutes. La plaque commémorative de ici a vécu Jean Paulhan, la bouche de métro citée par Henry Miller, le boucher de qualité presqu’en face. Tout ceci en mémoire pelote de fils multiples extensibles.
Un moment d’ébranlement massif est celui où les circonstances font que l’on se retrouve dans le motif même vu sur écran après un acte de mobilité polluant dans les airs d’une longueur toujours plus insupportable au fil des années et de la réduction de la taille des sièges, perclus de douleurs, de fatigue, de décalage horaire, quand bien même la propagande marchande et le vitalisme self-made toujours primant le mouvement perpétuel interdit de signifier ses malaises. Que se passe-t-il donc quand la rue est le contenant de soi alors qu’il y a un certain temps et peu, elle figurait comme un caméo sur un écran de poche?
Mais avant cela et plus tard vient une autre photo que je situe à proximité du Panthéon, derrière plus exactement. Un coup d’oeil sur la carte pour retrouver le nom de l’église vue de côté, et m’assurer qu’il s’agit bien de la rue de la Montagne Sainte-Geneviève dont le tracé en haut de pente se révèle être une succession de lacis dont je n’avais pas le souvenir. C’est un exemple très approprié de cette action-re-mémorisation qui se voit, par le passage vers la carte comme aide à la re-mémoire, mise à jour dans sa perception, le bas de la rue rectiligne étant l’unique forme de la rue telle que conservée en mémoire avant son augmentation par irruption d’un présent ailleurs en direct.
Prétention au flou, au peu clair. L’écrire malgré tout.
A Moritaya, la dame de 86 ans est un roman. Elle fait la petite fille timide enjôleuse comme en robe longue victorienne. Elle dit n’avoir jamais travaillé de sa vie mais elle excelle en travaux manuels. Le blondinet montre une pochette d’apparence plastique semi-transparent avec ferneture éclair parfaite et un gros bouton de couleur verte lié à une cordelette pour manoeuvrer l’ouverture et la fermeture. Le matériau est en fait un morceau de rideau. Elle annonce être sollicitée pour les ourlets de pantalon tout en exhibant sourire en coin l’absence d’ourlets de son jeans. Elle facture tout travaux 500 yens. Elle déclare sa flamme amicale au blondinet, répétant la chance qu’elle a à son âge d’avoir ainsi de nouveaux amis.
Plus tard en chemin seul remontant les 50 minutes de distance que tout le monde compare à un vol long courrier, une habitude insensible pour soi, me vient le mot d’empathie. Dans une société vécue où l’empathie au quotidien est une rareté, celle-ci se performe dans cet enclos à boire debout où à six on a déjà rempli l’espace. Il est intéressant mais sans pousser la réflexion, de penser à ce qui fait que certains sont plus empathiques que d’autres, que les jeunes et celles et ceux de passages non-réguliers sont invariablement aphones ou dans l’entre-soi. La conversation tourne autour de nourritures comme souvent, de déclaration de contentement pour ce qu’il y a de plus industriel qui permet de manger dehors pour pas cher comme peu font la cuisine. Les cuisines citées de chaînes sont toutes d’obédience japonaise ou chinoise, l’énorme contentement de manger des sushis sur tapis roulant, de se griller de la viande comme on n’aurait pas idée de le faire chez soi. Cette empathie là se nourrit d’un flot de banalités, et de pas mal d’expressions d'auto satisfactions douces, mais aussi, alors que je m’apprête à les quitter, d’injonctions à faire attention, à la chaleur en premier, à la fatigue, aux efforts inconsidérés. Il n’est jamais question de bombes ni de missiles.
22 juin 2025
A Takadanobaba à droite de l’escalier qui débouche sur la travée couverte dans un recoin en pleine vue, un jeune garçon, la vingtaine à peine est effondré, recroquevillé dans un recoin, visage blanc vêtements noirs de la tête aux pieds. Queues aux guérites adjacentes aux portillons, et donc impossible d’aller leur signaler cela. Tout le monde passe devant sans voir, tout le monde passe en voyant sans voir, tout le monde fait monde et montre une absence totale d’empathie, sans parler de tout le monde qui ne voit véritablement rien.
A main droite un peu plus loin se trouve un poste de police. On me coulisse la porte. Il y a un petit jeune affalé là-bas à la sortie de la ligne Tozai et tout le monde l’ignore. On me demande de préciser quel escalier pourtant décrit et montré du doigt. Les policiers sourient à ma mention du tout le monde l’ignore, sourire automatique de malaise. Finalement, il faut faire le sherpa avec un policier qui me suit tout en enfilant des gants bleus jetables. Il voit le garçon et me signifie qu’il s’en occupe. De l’autre côté de la rotonde se trouve un Don Quichotte mais impossible d’y trouver le rayon des médailles du courage.
Et et n’est pas une doctrine antagoniste au ni ni. C'est d’autre chose dont il s'agit. C’est un peu comme être bourgeois et prôner la nécessité de la révolution tel Eric Hazan, c’est Engels, c’est être héritière d’une fortune phénoménale et appeler à être plus taxée, c’est être dans l’apparemment incompatible, faire fi du calcul d’intérêt et participer activement.
27 juin 2025
Pas écrit à Tokyo ni même au Japon.
Nostalgie augmentée
Que se passe-t-il une fois sur place ?
Quai, cafés terrasses, la cathédrale en perspective, flèche en travaux, touristes, boutiques, la librairie touristisée avec la queue sage à l'extérieur, toutes choses sues qui font du passage devant une sorte de rituel de confirmation. Viennent s’adjoindre des flashbacks factuels qui affleurent, Miller qui a fréquenté le café pas loin, a visité la petite église du côté du square, trottoir en éternel travaux de réfection impossible.
Sur le chemin encore, plusieurs lieux fréquentés, brièvement habités, lors de la canicule historique aussi ou P était passé la veille du départ, P qui n’est plus, imperturbé qu’il était par la chaleur écrasante. Le jardin des seconds pas sur l’aire de jeu, et d’autres bribes personnelles attachées à la géographie. Y être est faire se coïncider l’espace avec les pièces d’un puzzle mental d’y avoir été. Y être et y avoir été se rejoignent, cohabitent. C’est la nostalgie augmentée et confirmée par l’acte d’y être. Et ainsi, ce n’est pas simple nostalgie.
Cohabitation et palimpseste. Juste un coup d’oeil aux Arènes pour y mêler littérature, choses lues, à choses vécues, la chose vécue fondamentale étant d’y avoir été et de le reconnaître par le fait d’y être maintenant. La nostalgie augmentée est ainsi peu nostalgique qui se nourrit du présent
28 juin
A la gare. De deux quais adjacents à la vue bouchée par un convoi à l’arrêt monte une clameur d’une foule mâle de supporters. Clameur qui monte qui monte massive qui s’impose totale.
29 juin
La municipalité est fière de son prochain musée dont la construction s’achève. L’immeuble d’origine, une école paraît-il, a été évidée. Sa façade desquamée affiche ce colori beige neutre de morgue capitale, une sorte de musée d’Orsay qui en impose quand les rues adjacentes aux immeubles bicolores disent eux le caractère régional joyeux.
Le marché couvert dans sa halle offre la totalité qui sied, jambons en batailles issus de trois origines. La concurrence fait rage. La population migrants lifestyle et locaux qui farnientent ou circulent est blanche sans exception, personnel de service visible y compris. Elle expose son idéal. Tergiversations puis remarque lancée avec une douceur infinie.
Il n’y a que des blancs.
C’est un problème?
Cela va aller de mal en pis.
Le Bordeau est exquis.
30 juin
Rien. Chaleur. En 1950 à Bangkok, il y avait (déjà?) des ventilateurs de plafond qui brassaient l’air. Ici rien, vitrines ouvertes béantes sur la rue. Intérieur et plats selects. Quelqu’un a laissé la porte du four ouverte. Tout le monde fait semblant. Tout le monde, ce sont les bien portants et apparentés. Le fromage fond. La glace survit à peine la distance. Il est difficile d’être prévenant. D’imaginer.
1er Juillet
Quelle amabilité, ce jeune homme qui se propose d’aider à soulever les valises.
Les signalétiques de gares sont des langues plus étrangères que la langue locale.
2 juillet
Pas encore. En prévision.
2 juillet
Vraiment le 2 juillet. Qué calor! Et alors?
Le degré d’inconscience et de mièvrerie vis à vis de la chaleur est proprement confondant. Les titres de la presse sont au rouge et les terrasses pleines. Ça passera. Moi je viens du Nord alors je ne vous dis pas.
Ne serait-il pas temps de porter l’installation massive de volets au débat public?
La ville est jeune ou assimilée. Seuls les piliers de terrasses locaux insensibles ou cuits sont plus âgés que la moyenne. Les personnes âgées visibles sont des touristes, de rares résidents le matin à l’heure des courses. Il est très mal vu de le signaler. Il est quasiment impossible d’énoncer la moindre remarque d’empathie sans recevoir en retour de volet un balle d’une violence verbale inouïe, toute imbue de ce vitalisme qui veut que les gens normalement en bonne santé sont les normaux, donc les vainqueurs, donc détenteurs de la vérité vraie.
Chacun ainsi est propagandeur de cette résilience apparemment peu usitée mais pratiquée par les visibles.
On peut dans l’espace public catégoriser l’être humain entre les visibles et les invisibles, les marginaux figurant une frange parallèle tierce que la municipalité ne sait pas écarter ou a abandonné cette ambition.
L'incommunicabilité avec des générations d’un âge inférieur à un demi du sien ou moindre est une signature de l’interaction sociale, somme toute pas plus différente que sa version japonaise. Tant que l’on porte sur ceci un regard à affects contrôlés, c'est-à-dire faire son entomologiste, tout est bien intéressant.
La recherche en ville d’un lieu climatisé est aussi d’intérêt. Seuls les restaurants d’hôtels haut de gamme, les cinémas, les supermarchés en sont dotés, ce qui couvre large socialement parlant. Le café au nom américain et au sucré associé a ceci d’étrange qu’il n’est pas plein bien qu’il soit abordable. Le café y est globalisé tout comme la clim. La majorité des clients ont la trentaine ou moins. Plus tôt, un habitué dans la soixantaine passé a tenté, sans doute une routine de communication, d’impressionner le personnel féminin aimablement froid. L’hypothèse est que la climatisation est tellement rare, si peu vécue, qu’elle n’est pas demandée.
Nos murs sont en granit de 80 cm de large donc on s’en fout m’écrit C. Le contentement ou l’intérêt pour le sujet se situe et s’arrête au niveau du ressenti et des circonstances purement personnelles.
La masse polyphonique du passé-présent.
Sur la question de la nostalgie augmentée - et tous ces jours-ci sont saturés de passé-présent - c’est donc dans l’immédiat Vladimir Jankélévitch qui éclaire une voie possible. Plus loin viendra s’inscrire peut-être la tierce passé-présent-futur.
Deux personnes passent en sens inverse. Je saisis seulement “la traviata?”
Deux autres personnes passent. Je saisis seulement “Ce décalage par rapport à la réalité”.
(À suivre…)
4 juillet
Sur la tentative de se remémorer sur place ces temps avant d’être ici où l’on s’était promis une fois sur place de se remémorer ces pensées prévisionnelles de lieux à venir. Une fois sur place, tu te souviendras d'avoir anticipé d’y être. Ce n’est pas simple.
A la librairie hier, achat de Pulsion de Lucbert et Gordon soit le second achat après la version numérique. Retirer l’épais volume de l'étagère crée un trou comme sur une mâchoire. Le livre papier est un monde, d’abord l’épaisseur, la visibilité des notes de pages, le feuilletage à rebours à la page précédente, mouvement qui fait ici encore sens, avec encore dans le champ de vision un bout des deux pages qui suivent. La lecture est spectacle et manipulation. Mais le livre n’entrait pas dans le sac. Il a fallu le confier pour quelques jours.
7 juillet peut-être
Tout le monde va au même endroit au même moment.
Tout le monde va au même moment au même endroit.
Problème?
Au même moment, aller ailleurs.
Au même endroit, aller à un autre moment.
Alternative.
Aller au même endroit au même moment, et y adopter d’autres attitudes.
La porte d’accès au bout du wagon ne s’ouvre pas de façon évidente. Il est des savoir-ouvrir. La jeune femme se lève et tend le bras gauche à hauteur du détecteur latéral en hauteur qui déclenche l’ouverture immédiate de la porte. La mobilité efficace est une collection massive de gestes qui meuvent.
From LRB
Dates organise this book, not in chronological order, but to capture the synchronicities, ruptures, flashbacks and predictions that …
Le temps, l’espace, ses panoramiques, et la qualité de vie consumériste qui s’y inscrivent. Pour les deux premiers éléments, le Japon a tout faux. Pour le troisième, cela dépend du contexte.
Le Chat m’avait suggéré F comme destination proche de R, mais suffisamment excentrée du centre, sans préciser qu'avec un seul train par heure, F ne pouvait être une destination touristique prisée alors que l’on y trouve un condensé de R hors l’antique, mais de l’I un peu rêvée en un mouchoir de poche, c’est filmique.
Il faut de bonnes jambes dans ce coin pentu. Sur une petite place en fin d’après-midi, de petits enfants jouent, à peine cinq ans, et tombent sans pleurer. Traîtres pavés signature des lieux. Le matin sur les bancs et les cafés multiples, encore aucun de chaînes, les anciens parlent aux anciens. Il est aisé de tomber dans le lénifiant. Le café est bon.
- La nourriture non, sauf en boulangerie vraiment traditionnelle.
Ce n’est pas que des chefs hipsters devraient apprendre à faire la cuisine, chose abordable. Ils devraient apprendre le manger convenablement. Les volumes sont toujours indécents entre les deux extrêmes, les terrasses bondées jusqu’à minuit. C’est bien.
Des chants dans la nuit qui sonnent comme du fado.
Tant de sujets sur lesquels il faudrait s’arrêter, analyser, penser ensemble plutôt que zapper. S’arrêter sur un sujet, s’arrêter. Quid de la bonne vie à distance acceptable des bombes?
A chaque destination, ne pas oublier d’imaginer y habiter. Prendre le tram pas nécessaire pour tenter de sentir le quotidien.
On m’a offert un livre d'épicurien contemporain. Je confesse l’avoir jeté à la poubelle. Une lecture à effet dyspnéique. Seule la génuflexion comme ailleurs y est autorisée.
Les bords du lac sont d’une beauté d’aménagement et de perspective ébouriffantes. Hakoné est une mauvaise blague en comparaison.
Ne pas comparer.
Ne pas ne pas comparer.
Penser jauges, curseurs d’où se situent la bonne vie. Alors on peut comparer.
Il est des moments paysagistes poignants. A deux stations de R T s’exposent soudain des morceaux de campagnes latines, villas patriciennes, impression vert terracotta, canopée singulière. On dirait des gravures de voyageurs du 19e siècle juste colorées.
Il est des moments vus poignants. Il quitte le wagon du petit train qui part de l’aéroport vers le centre-ville en lui souhaitant bon courage. Elle garde le regard fixe. Le train s’en va. Elle pleure le regard fixe. Elle soulève ses lunettes pour essuyer les larmes exposant des yeux rougis.
On nous amène dans un petit port mi-pêche, mi-industriel. Le paysage est affligeant. Les mouettes se gavent. Nous attendrons une heure sillonnant doucement la côte comme une banlieue périurbaine de mer désolée. Les suivants attendront deux heures. Le restaurant ne désemplit pas. La clameur des mangeurs est permanente. A huit sardines, je cale. Heureusement ceci n’a pas changé.
Pourquoi habiter au Japon? Pour rêver de l’Europe. Ça va sans dire.
La dame dans la chapelle m’a souri. Plus tard sur les marches de marbre, Elle s'approche, me parle doucement dans une langue romane. Je saisis la faim, le besoin. Je lui donne un billet de cinq de la monnaie locale. Plus tard sur la placette devenu centre névralgique, là où les petits enfants tombent mais ne pleurent pas, elle s'approche une seconde fois, me signifie que les cinq sont déjà partis. Il est question de se nourrir, d’enfants.
Les policiers barbus qui commandent au comptoir ont la même casquette que le personnel de service.
Boutique de savons. L'odeur de Ikebukuro au sous-sol.
Regard volé sur l’écran du portable de ma voisine du siège en face. Une jeune fille moue souriante d’époque souffle sur les bougies d’un gâteau à la surface duquel est reproduite une photo d’une petite adolescente. Rite de passage et de nostalgie à la fois.
La longue travée de la gare est d’une grande beauté. Luminaires des années 30, marbre massif, architecture fasciste.
On mange trop. Il est impossible de manger même un quart de ce qui est normalement mangé. Encore une fois, en version végane cette fois-ci, ce n’est pas bon. Ils savent encore faire le café.
L’aqueduc tout de long, sol poudré parcheminé d’été. Prééminence de restes antiques au milieu de partout et de nulle part. Des graffitis sur un mur millénaire.
Encore et encore profiter de séjours courts pour performer le spectacle à soi et pour soi que constitue de faire comme si être un local, habiter ici. Pour cela, le même train en aller-retour trois fois suffit. Le sentiment d’habitude le veut et s’installe vite. Le quai 20B la première fois si loin de l’entrée, la seconde fois déjà raccourci mentalement.
M me dit que le périmètre à proximité de l'aqueduc est brut de décoffrage, râpeux tendu, population d’immigrés, mais il a ses habitudes et son studio d’enregistrement, donc cool. Il y est connu et respecté.
Relents de sueur dans le wagon et sur le terre plein des quais. La sueur est toujours celle les autres.
11 juillet
Demain, même train à 9h37, contrairement au 9h36 des jours de semaine. Prendre une minute comme si un pas de côté et se distinguer.
La logique des applications de mobilités : toujours engager à plus de mobilité. Où aller ailleurs maintenant que vous y êtes?
Réponse pour soi : ici.
À Suivre …