Chair sacrée

 


Tout a l’heure

Sollicité, le Chat avait énoncé Frascati comme destination de séjour court répondant aux critères requis : pas dedans le chaudron mais facile d’accès. Pas d’autoroute à proximité. Peu touristique. Le plus important est la corroboration humaine. M sollicité avait approuvé avec enthousiasme. Frascati était son pays d’enfance, le lycée, la copine d’il y a longtemps. 


Aujourd’hui il m’amène à Ostia, la chair sacrée des adolescents, le terminal de Pasolini. Il m’explique que le bord de mer où nous allons est la destination pour les ados qui n'ont pas encore l’âge du permis de conduire et prennent le train comme nous. 

Elles sont mignonnes. Elles viennent performer et apprendre à performer à la fois. Stare me dit-il est le verbe clé. Stare or not stare, là n’est pas la question mais la nécessité. Peu vêtues en chemin, elles se dénudent sur place. C’est un concours de qui portera moins de tissu que l’autre. Pour avoir une idée de ce qui reste caché des corps, il ne reste que les planches anatomiques. Stare, ou être comme on dirait paraître qui sont synonymes. 

Il s'agit de performer le désintérêt pour les garçons, et réciproquement. Le problème, la vie donc, est que les amours d’été sont un chapitre essentiel des vacances, et de ce que l’on en rapportera à la rentrée où une des missions majeures des enseignants sera de réapprendre aux élèves à écrire comme ils auront tout oublié. 

Stare est de l’ordre du théâtre, de la vie donc. Bis repetita. Avant le mobile, M m'explique que le truc pour les garçons sportifs par définition était de propulser la balle vers les filles pour devoir ainsi la chercher et s’approcher d’elles, pour entamer la conversation, apporter la crème à bronzer oubliée par dessein, poursuivre avec l’achat des glaces, et faire ainsi le chemin de croix du larbin espérant l’extrême onction d’huile de noix de coco. Quand une passe en mode furie son mobile collé à l’oreille comme si la villa de Florence était en feu, M me dit blasé que malgré le drame performé, elle doit sans doute parler à sa mère. 


Je me demande vaguement mais plus tard qui j’aurais pu amener ici de Tokyo pour provoquer une crise d’apoplexie. J’en vois bien un qui serait parti en civière en cinq minutes. Cette exposition de fessiers et seins blancs bronzés est d’un grand naturel. Les serveurs un peu plus âgés du bar font les indifférents. Elles se sentent ainsi en sécurité.


Bientôt sous le cagnard, nous rebroussons chemin vers le restaurant aperçu à l'arrivée, un de la gamme figée des années soixante dix comme la Costa Brava. En fait, il y en a deux. Le premier est plein à la terrasse, assiettes remplies de bucatini. L’autre est étrangement vide et donc tentant. A l’intérieur, c’est comme une cantine avec les plats visibles, ce qui nous ravit. De plus, on peut expliquer que l’on ne veut pas charger les assiettes, bien au contraire, ce qui nous est accepté avec enthousiasme, le prix étant indépendant du volume. Je prends de grosses pâtes dont le nom m'échappe avec une sauce à l’espadon. Le poisson sent fort, partout. On s’installe à la terrasse toujours plus ravis avec le vin blanc de la maison acceptable. Il s’agit d’un restaurant de cette gamme good enough dont le Japon est encore familier en cherchant. Pas extraordinaire, mais suffisamment bon, comme le Portugal aussi s’honore encore de posséder. 

Après le quatrième jalon effectué entre Frascati et Termini s’installe donc toujours plus la familiarité fonctionnelle, comme celle de ne plus hésiter maintenant pour trouver les boutons de la lumière dans l’escalier dont le matériaux faux marbre gris clair est le même qu’à Tokyo, mais avec son absence de contraste et les risques conséquents de rater une marche. 

M n’a pas assez de mots durs pour l'approximation des informations sur les panneaux joyeusement lumineux des départs et arrivées. Performer la familiarité quand ainsi brièvement de passage, c’est ne pas être partie prenante des énervements du quotidien, eux gages d’une familiarité pas feinte. Des trains partis figurent encore dans la liste qui se résume pour moi par un intéressant énoncé de géographie des villes, une liste de madeleines, de déclencheurs de songes.

J’espère encore pour ce cinquième et avant-dernier jalon que le train sera bien accessible par la voie 20B elle aussi désormais et à jamais partie d’une vie rêvée entre Rome et Frascati. 

A main gauche dans le paysage, ce sont les oléandres et les pins parasols qui signent la toile. M’est revenu avoir vu sans doute dans quelques maisons bourgeoises autrefois de ces gravures dont M me confirme la richesse exposant les paysages de Rome hors les murs.

A Termini, on passe d’un mur antique via l'architecture fasciste au modernisme commercial comme partout ailleurs d’un arc de cercle du regard. L’avancée vers la plage à Ostia aussi est fasciste. Lignes claires stressantes, un peu sordides. Le paraître ne s'y conjugue qu’au présent, fascisme ou pas.les filles ne vont pas particulièrement nager, tout comme les garçons. L'eau n'est pas de qualité. De la terrasse, on ne la voit qu'à peine. 

  

Du train, le regard s’interroge autant sur les ruines vivantes que sur la concentration de compresseurs d'air conditionné, pas systématiques mais assez présents. M me dit que dans son immeuble multi centenaire composés essentiellement de locations courtes, les compresseurs ne doivent pas être visibles qui sont installés en intérieur pour préserver la beauté de l’ancien. Emile Zola avait pris une photo de la rue pas loin. 


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