Cartographier sa banlieue de l’âme
13 juillet
Cartographier sa banlieue de l’âme
Ah non!
Ça ne parle plus du Japon.
Je ne lis plus alors!
Mais on y revient, on y revient. En attendant la ville n'envisage pas un concours des plus mauvais onigiri locaux. Plusieurs gagnants potentiels d'après des échos avisés épicuriens.
La chaleur rend facilement irascible - et sert souvent de bonne excuse pour ne pas évoquer d'autres affects. A un degré de plus que le cynisme, soi-même acteur y compris, la morale impose le çavabiénisme.
Relues plus tard, ces lignes suintent par moment d'iracibilité.
C’est intéressant. Un défi permanent au quotidien tokyoïte.
Aparté.
Lecture par hasard donc auto-pardonnée d’un texte d’un certain nombril tokyoïte contemporain nommé Craig Mod.
“Donald Richie, that complicated weirdo, once haunted these very roads.”
L’autre que soi, le weirdo.
Fin d'aparté.
Désormais, Frascati figure sur la carte extensible à souhait qu’est la banlieue de l’âme géographique, qui s’étend de Tokyo à l’Europe, celle qui s’émeut à l’évocation de lieux, de moments dans les lieux, de textures de sols et de murs, de texture des heures et de l’air et du vent. Faire des efforts pour ne pas oublier les textures de l'air.
Dans cette carte, il suffira d’y penser pour s’y projeter plus tard.
Plus que jamais, en-carte, hors-carte, est palpable le sens de l’hors-solisme, le ressenti qu’y être est une expérience très locale et multidimensionnelle à la fois.
Et terriblement consumériste.
Buller dans une vieille ville, aller au marché couvert,
blancs quadras et au-delà
qui ouvre tôt,
Après avoir écarté le café au niveau des aérateurs qui font un boucan pas possible, en prendre un, un peu plus loin, où une tribu d'hommes épais sans doute actifs dans la logistique du marché ont le verbe haut, qui semble flirter avec l’altercation imminente, mais il n’en est rien. C’est le style régional, comme on se doit de dire, la version loquace du mutisme.
C'est qu'ici, le mutisme est suspect.
Enfin, pas sûr. C'est compliqué.
Dans le groupe au café, une seule dame âgée leur donne la réplique. Aucune jeune femme en vue. Le style rugbyman ou bourgeois post-cinquantenaire sous divers traitements et substances de ralentissement de la déchéance du tonus et de la libido est totémiquement endémique, comme vu en Italie. Tous les hommes visibles pourraient être le père des jeunes filles désirées offrant l’espoir de la jouvence. Pour échapper à la mort : à vos poudres, partez!
De rares jeunes filles asiatiques dans le marché tôt. Elles observent, elles n’ont pas de clé des possibles, de comment se sentir dans l’acte de consommer local, boire un café, simplement, simuler la familiarité, coller aux routines du lieu pour le plaisir d'y être. Feindre donc, une feinte exquise quand bien même maladroite. On ne donne jamais aux touristes des clés du quotidien visité. Que feraient-elles des poireaux?
Le soir avancé dans la grand-rue qui ne désemplit pas encore, avec deux fourgons de police en attente, la population statique est massivement de couleur, venant probablement voir les lumières de la ville nocturne du périurbain, l'autre monde. Beaucoup de familles, beaucoup d’enfants. Une fontaine d’eau glacée permet de se rafraîchir et remplir les bouteilles, alors qu’une autre plus loin est bardée de tables et chaises des cafés environnants, et rendue ainsi stratégiquement presque impossible d’accès. Les robinets décoratifs charmants et l’ensemble de pierre ont été conçus il y a très longtemps pour être inaccessibles même aux mains tendues.
Comme ailleurs, la partie de la ville bourgeoise et plus se distingue par le beige clair et lisse dans ses îlots modernes par la contemporaine de la pierre de taille qui expose sa banalité austère architecturale, sa morgue, son mépris du rugueux, sa volonté farouche de rappeler la capitale, ses beaux quartiers. Mais les goulets improbables sont toujours casimodonniens, et les pavés traîtres à travers les siècles intiment la précaution. Le passage brusque d’une ambiance à l’autre est confondant. Il y a même du moderne beau.
A travers les siècles, somme de banalité.
Hormis la consommation, on trouve la consommation culturelle, mais ces terrasses bondées malgré les menus chers n’ont la fonction gastronomique qu’en fond d’écran. C’est la fonction sociale qui prime, comme ailleurs. Elle vaut toutes les additions.
L’exclusion sociale se cache à peine dans les recoins, jusqu’au site de demande de carte d’identité qui ne propose pour aller déposer les documents que des antennes municipales à au moins 30 minutes en bus, la mairie cossue à 10 minutes à pied ne figurant pas dans la liste. Il suffit pourtant de s’y rendre hors l’écran pour gérer l’affaire..
A quel moment les rues et entrelacs commencent-t-ils à faire sens, à faire un début de familiarité? Réponse bien plus loin.
Le déni de chaleur est endémique. Le vitalisme étant la norme et la normalité, il est impossible d’aborder le sujet sans passer pour un faible rabat-joie, un faible donc un rabat-joie. Au couchant, le soleil comme un drone en rase-mottes rend la poussière scintillante et mobile, lui donnant visibilité et nostalgie à la fois. Plus tard il se fait, plus chaud il fait.
Les recommandations de l’OMS aussi banales qu’elles soient sont hors sujet. Les trucs et astuces que tout un chacun pourrait avoir n’ont pas voix au chapitre. Contre réchauffement, faire bonne figure, faire figure donc, la seule qui vaille.
Se plier aux usages positivistes, à longueur de journée, faire face à la question-injonction de comment ça va. Une seule réponse admise, les autres étant à risques majeurs, non, un seul risque : le silence, l’évitement ou le reproche, au choix.
Plus tard chez certains vient l’aveu par les lectures.
Trois dimensions du festival : le IN, le OFF et la Ville, le bitume, les pavés, les dalles de marbre. Je ne pratique que la troisième dimension. Et puis, le théâtre est partout, d'abord chez les marchands avec qui l'interaction de la bonne humeur est un exercice théâtral en soi. Tous les jours, les matins exquis surtout, je pratique, j’observe le théâtre social.
Trois soldats mitraillettes au poing passent. Le contexte aidant, on hésite sur leur authenticité.
S est un boulanger paranormal. Un personnage, un one-man show, un nombril caractériel. Il teste ses clients. Gouaille difficile à classer, son regard est méchant. Tout apprenant de la langue locale se doit d'y acheter son pain, de mesurer ainsi la distance restante jusqu’à un début de petite maîtrise de la répartie, qui est une des clés de l’esprit local - dit-on parce que généraliser est la norme - et de la langue, son usage.
On comprend vite ce qu’impose cette théâtralité du quotidien social, avec son pendant d'intrants poudreux, la religion résilientesque qui peine à démarrer le matin, ou à cette heure de fin d’après-midi qui impose encore de faire bonne figure sous la chaleur crasse, qui suinte à travers les murs épais d’une bâtisse multicentenaire.
Discussions avec des jeunes. P est intermittent du spectacle. Il a fait une école d’ingénieur puis trois start-ups, quittées au bout d’un an et demi quand la sensation de routine s’est installée. La dernière a dégraissé mais avec un pactole à la clé. Il a décidé de s’investir dans sa passion du théâtre. Il accumule sans difficulté le quota de cachets, un cachet signifiant 12 heures de contrat, mais pouvant dans la réalité ne durer que 5 minutes qui seront équivalentes à 12 heures. Il joue, il écrit, il dirige. Il ne pourrait pas fonder un foyer dans l’état économique qui est le sien, mais seul, ça va. Hormis le jeu, la seule chose qui compte est réseauter, attendre les plus hauts placés dans le pouvoir à la sortie des représentations et faire sa pub, se faire connaître. En un quart d’heure d’interview, plein de choses sont maintenant clarifiées.
Les garçons adorent se raconter. Les filles aussi. C'est le seul moyen d'entrer en communication. Faire radio crochet des rues.
Après 10 heures le matin, il n’y a pas moins de monde dans les rues et les ruelles d’ici qu’à Gion ou dans la rue des Rosiers, hors les Geishas. Vraiment, aucune différence de densité humaine.
La presse s'interroge. Pourquoi les villes étouffent, surtout la nuit, pendant les vagues de chaleur?
Pourquoi les humains en crèvent ? Silhouette d’une personne symbole du vitalisme triomphant à la sueur giclante s'abreuvant comme si d’une gourde de peau espagnole en plein cagnard.
19 juillet
Espace-temps-usages
L’espace-temps dans ses usages appréciés est totalement formaté par l’expérience européenne. On peut dès lors comparer la Médiathèque Ceccano d’Avignon avec la bibliothèque Yuinomori à Tokyo. Les ressemblances d’articulations sont remarquables, puis sommes toutes tombent sous le sens. A destination, on apprécie l’idem.
La ville textuelle est source d'interrogations, de conjectures, d'ébahissements à répétition.
Écrire sur la découverte d’une ville est fondamentalement une erreur, la découverte au fil des jours révélant ses propres bévues et affabulations successives d’interprétation, de lecture.
Pour autant.
Tout ce qui précède est faux. Tout ce qui suit ne s’arrange guère.
Si tel untel bâtiment est à tord interprété torduement, il n’en fera pas une jaunisse, pas plus qu'une fois l'appréciation réévaluée.
Mais ce que l'observation de la ville, genre petit bijou historique, mitochondrie dans son nid à murailles, très variée mais abordable à pied, provoque, ce ne sont pas des erreurs d’interprétations géographiques ou topographiques, mais bien des erreurs sur les personnes croisées qui la côtoient ou l’habitent. Les qui font le théâtre du quotidien.
Au marché richement doté passée la fermeture, dans l’interstice flasque qui précède l’abaissement des grilles, quand de rares étalages de la dernière minute offrent ce luxe d’un marché richement doté de n’avoir enfin que peu de choix, et de s'éviter ainsi, luxe suprême, de tergiverser. Et les tirs.
Dans une ville à festival, à carnaval, le sujet enviable reste le lendemain de fêtes quand s’installe le bourdon, que l’on ne vivra pas.
19+3 juillet
Le çavatisme étant la règle, la gestion de ses immenses contradictions est toute l’affaire du quotidien. La possibilité d’un éclat de violence verbale rôde. A la poste, le message long intimant d’être courtois est une violence en soi contre les éruptions possibles de violence.
Dans la rue encombrée, le véhicule de premiers secours qui n’est pas en urgence déclenche sa sirène exacerbée autoritaire pour accélérer. Classique menace du détenteur d’autorité faisant sursauter nombre de personnes qui n’ont plus les capacités physiques de cabrioler et sauter de côté comme pour éviter une flaque, un cycliste ou un véhicule utilitaire autoritaire.
Et donc…
A quel moment les rues et entrelacs commencent-t-ils à faire sens, à faire un début de familiarité?
Il est ce moment où des choses s’imbriquent, qui sont des rues, la perception nouvelle ce matin que celle-ci là maintenant mène en parallèle à la destination, une perpendiculaire probable devant apparaître qui permettra de rejoindre l’autre rue plus connue et étendre ainsi la reconnaissance mentale de la perception mentale de l’espace.
C”est une belle ville, une belle caisse de résonance des contradictions, dehors et dedans, un terrain d'expérimentation.
Tracter : définition, distribuer des publicités au format carte postale et tenter de faire venir le passant à la représentation prochaine.
Celles-ci est bientôt finie.