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Sur l’esquive à Tokyo - extrait - juin 2022



A Tokyo, il ne s’agit pas de savoir s’éloigner au plus vite d’une nappe de lacrymogène, d’une charge des autorités, d’une foule en colère ou en mode hyperédonisme de bande exultante. Associer au savoir-ville le savoir s’esquiver est dans ces conditions un luxe enviable. Le savoir s’esquiver est ludique quand il s’exerce hors l’urgence. Mais il participe de la même grande idée dès lors qu’il s’agit de sauver sa peau. Savoir de maraudeur, de résistant, de marginal mobile et stratégique, d’assassin même. Pour l’instant aucune piste cherchée pour nourrir la reflexion sur l’esquive en ville, le savoir-s’eclipser, hormis trois choses qui sentent leur redite :
- (…) ces  familles patriciennes exilées volontaires au coeur de la Sicile pour s’éloigner de la Rome trop politique et complotiste, qui font reproduire au milieu de nullepart des villas romaines somptueuses.
- Casanova, le cas Casanova qui part, quand cela cloche, s’avère dangereux, a perdu en charmes. Apparemment sa signature est le départ impromptu, la poudre d'escampette, la rapidité entre décision et action.
Il y a aussi le cas vécu d’un samedi après-midi à Londres, Elephant & Castle, foule compacte, bouches de métro noires de monde statique, en attente de pouvoir descendre, personnes agglutinées sur les marches, aucune ne paniquant à ce qu’il adviendrait en mode panique. M qui décide de s’éloigner, de prendre la tangente, de passer rapidement dans mon souvenir en tout cas de la tension à la périphérie calmede proximité.

Se repérer

Impossible encore de fixer dans l’espace geographico-mental les maisons croisées lors d’une promenade de santé, et d’abord la maison bleue comme la chanson. Je ne saurais indiquer où elle se trouve étant en manque de repères et de ressenti du grain du paysage. A cette altitude, la campagne n’a pas de grain, ce qui est une grande découverte. La maison bleue ne peut être mise en rapport avec aucune une autre maison, ou des éléments du décors qui seraient singuliers, ceux-ci manquant à l’appel. Peu de choses en dehors des maisons. Aucune boutique, aucun marchand. La marche devient alors stratégique et tourne autour de la topographie, des dénivelés. Elle est ennuyeuse mais moins que de faire des aller-retours dans le couloir d’un service hospitalier. J’ai composé un micro-tour qui permet à la fois d’évincer la grand route et de marcher essentiellement sur du plat pour éviter la fatigue d’une pente à grimper en retour. Mais c’est un parcours bref, moins de 800 mètres, avec trois variantes, et donc très redondant. Une seconde fois je cherche en passant le nom des résidents sur une enseigne devant les chemins au niveau des boîtes aux lettres, mais je ne trouve qu’in UEDA qui s’exposent, propriétaire d’une maison aux volets fermés. 

Vient le tour des plaques minéralogiques. Tiens, la plupart des voitures en stationnement, très peu, sont du même département. Un couple devant une petite auto-blanche immatriculée à Yokohama. Pratiquant ainsi des boucles, je repasse devant eux. On se dit bonjour. Plus loin et à trois reprises, c’est une superbe villa imposante d’où émanent des bruits du matin, sans doute le petit déjeuner, sans doute des enfants. Un oiseau invisible monopolise l’espace sonore. Il doit être quelque part en cage.
(…)