Syndrome

 


Le syndrome de Paris d’hier à aujourd’hui du psychiatre Hiroaki Ota fait une étrange lecture, peut-être indispensable, peut-être. La litanie des descriptifs de cas redondants invite parfois à zapper.

 L’écriture y est un travail à la serpe, psychorigide, des stéréotypes indéniables offerts par tombereaux, une absence apparente d’empathie, ou alors son expression engluée dans ce qui sonne plus comme du cynisme certainement involontaire. ChatGPT sait être aimable. On ne peut pas dire que l’auteur exagère pour autant, puisqu’il sait, par longue expérience, de quoi il parle. Les affirmations péremptoires créent par contre un petit malaise constant, moins par le style que par une analyse qui cesse trop vite de creuser profond au profit du tourner en rond. 

Ce qui est absent, sans surprise, ce sont les non-cas, les non-pathologiques, les qui s’assument et assument, font ou trouvent leurs nids, s’adaptent avec plus de bonheur que moins, et donc qui ne consultent pas ou ne finissent pas envoyés à Saint-Anne en urgence psychiatrique. Ses lectures sociales du monde semblent tout de même figées dans les années 80. Il n’est ni question des homosexuels japonais en France - on en connait sans en faire une généralité largement dénués de ces affects communicationnels - ni questions des milieux, micro-dynamiques antérieures à la mobilité internationale qui va de soi, mais maintenant multipliés dans leurs variétés tribales qui permettent dans certains cas de mener ailleurs une vie largement hors-sol,  vie située dans une bulle à dimensions variables où parler surtout sa langue natale au quotidien permet d’atténuer jusqu’à presque ignorer les chocs communicationnels. Il n’est ni question non plus du “migrant connecté”, de l’impact sur les affects d’être en lien physiques et distants avec de multiples lieux, cette banalité qui n’en est pas une.

C’est d’ailleurs dans une certaine mesure ce qui se passe probablement pour les voyageurs qui se meuvent en familles larges si pas justement en tribus, qui parlent entre eux avec entrain tels qu’on en voit dans les métros de Tokyo, qui donnent par leur présence vocale dans un milieu silencieux une note auditive radicalement singulière, qui s’entretiennent en direct avec là-bas aussi. 

Le professeur Ota n’a pas remarqué que l’on peut selon les conditions vivre très japonais à Paris, et très français à Tokyo, mais aussi très otaku cosplay plus ou moins bariolé mais sans le regard cynique ni la vindicte railleuse ou pire absente ici en tout cas dans son expression - c.f. Koenji - très souvent en sustantation du sol, tant sur des aspects matériels que relationnels, avec le facteur bénéfique massif de la communication à distance. Il ne s’agit pas de communautarisme mais de micro-communités ultrafocalisées sur un aspect plus ou moins affabulé de la culture à destination qui permet à de rares marges de marginaliser dans ses propres conventions, rituels et signes de reconnaissance. Une partie probablement non-négligeable de la vie se vie désormais en ligne. Sur cet aspect des choses aussi, rien. Il existe des marges qui sont destinations espérées, quitte sur place à la créer et les entretenir dans un petit entre-soi. 


L’auteur se fend vers la fin, au sujet de la politique migratoire au Japon, de cette remarque menaçante, d’un sénilisme martial limite : 


“L’Indonésie, qui compte la deuxième plus grande population musulmane au monde, envoie de plus en plus de ses ressortissants. À mesure que ces migrants s’établissent, on peut constater que la société commence à perdre sa sécurité légendaire. C’est également le début des difficultés pour les Japonais, respectueux de leurs traditions et rituels polythéistes, face aux musulmans monothéistes et exclusifs dans leur pratique religieuse.”

Plusieurs fois la Chine est pointé du regard comme l’ennemi absolu, mais rien contre les USA malgré l’affirmation finale qui suit, ni aucune pique pour d’autres puissances massives, signe peut-être d’un syndrome du colonisé intégré dans son aplomb, pour qui le multiculturalisme ne passe pas, et le supranationalisme une horreur.

“Pour conclure, on trouvera des différences fondamentales entre la version japonaise (éditée en 1991) et cette version française du Syndrome de Paris dont vous terminez la lecture. Dans la version japonaise, je raisonnais en baby-boomer, né et éduqué selon la vision culpabilisante du Tribunal de Tokyo d’après-guerre et encore influencé par la politique pro-américaine de l’occupation.

    La version française du livre en revanche, s’éloigne de cette conception, grâce aux nouveaux points de vue géopolitiques sur les relations internationales qui ont été révélés par les historiens après la guerre froide. Ces nouveaux paramètres ont changé mon regard de Japonais culpabilisé d’après-guerre en un Japonais fier de son pays.

    J’ai pu acquérir ce nouvel état d’esprit, grâce à l’apport immense de ma vie en France, dans une culture si différente de la mienne et qui a éclairé ma vie sous un angle nouveau.

    J’espère que ce livre permettra aux lecteurs francophones de mieux comprendre les sentiments et la façon de penser du peuple japonais.


Il aura fallu attendre des décénnies, pas moins, pour déjeuner aujourd’hui au petit restaurant de soba vers Kanda, avec Y aux commandes en famille. La mère toujours nonchalante est apparue nonchalemment, le fils aussi que je n’ai reconnu que vaguement à la seconde apparition, la dernière fois remontant à il y a bien 20 ans. Le portrait craché de sa mère, la même bonhommie, de son père aussi qui n’apparaît pas. Il avait été désigné successeur implicitement de ce père, malgré son allergie au soba qu’il gère avec des médicaments. L’ascenseur social n’est jamais à l’ordre du jour quand la transmission prime. Le restaurant est petit, très décoré sur un scénario good old times à usage local d’abord un fond musical de chansonnettes enfantines qui ne sont pas de mon enfance. Le menu est remarquable, en variété de plats et originalité. Les quarante prochaines années sont assurées. Cette cuisine humide et liquide accompagne si bien le passage vers l’été. 


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