Au bas de Porta

 


Exit la flânerie. 


Je ne crois plus du tout à sa validité, celle qui vient automatiquement avec la mention d’un déplacement au hasard. La psychogéographie m’est muette. C’est un grand bien. Il n’y a pas de hasard, parce qu’il y a des choix, plus ou moins sensibles, et d’une manière ou d’une autre, une forme d’obligation à choisir. Le seul hasard serait de fermer les yeux, mais là encore d’autres dimensions informeraient des choix. Il existe un index de marchabilité de l’Europe occidentale comme outil potentiel de développement urbain pour des raisons de santé publique, inciter à marcher. Mentalement, il faut détourner l’idée, déplacer le curseur vers un index de marchabilité poétique à soi des secteurs. Il faut y tester d’autres manières.


Il faudra désormais ajouter un volet “points névralgiques statiques”, qui ne nuit pas à l’écriture, au contraire, c’est à dire trouver sans y consacrer beaucoup d’effort - rester dans la spontanéité - des points d’ancrage, d’immobilité en pleine ville comme si des promontoires, mais indifférents à la déclivité et à la panoramique, points sélectionnés in vivo selon des critères un peu foutoirs. L’immobilité comme performance, non pas d’arts des rues, mais comme manière de saisir le paysage, dans l’immobilité donc. Sur le plan de la performance, il ne s’agit pas de gêner le passage, de se grimer ou s’habiller carnaval, mais de marquer des poses là où on ne s’y attend pas soi-même. Comme un passant qui ne passe pas ne passe pas dans l’oeil de la société, qui peut ailleurs lui être foncièrement hostile, on pourra adopter le subterfuge de prétendre être en attente de quelqu’un, tenir de manière ostentatoire le mobile, feindre un certain degré de souci - pas encore là? Mais que se passe-t-il donc? On pourra aussi s’économiser le spectacle et juste regarder et écouter, comme tout à l’heure au bout de la pente couverte de la gallerie marchande Porta.



Rendez-vous au bout de Porta.

Lequel des deux bouts?


Cela fait deux lieux possibles, mais je recommande le bas.


Ainsi planté, regardant autour de soi, ce n’est pas tant le territoire immédiat qui se révèle en une flopée de détails normalement pas notés. Mais comme faire le statique est une anomalie en soi, elle provoque des conséquences dans l’ordre de la révélation de choses normalement zappées du regard. 


C’est aussi le temps qui s’installe dans l’alentour. Juste en face sur ce qui constitue le dernier immeuble avant la sortie de la toiture se trouve en étage une boutique d’articles de porcelaine. Le panonceau au rez-de-chaussée, un logo d’un beau bleu singulièrement du cru m’avait totalement échappé, mais vu l’angle où je me pose, il n’est pas possible de lire clairement les éléments écrits qui y figurent. Le déchiffrement est progressif qui mélange des coups d’oeil en hauteur où se distinguent effectivement à travers les vitres des vases au moins sur étagères, le caractère 器 ki au rez-de-chaussée, indice exemplaire, puis après quelques allers-retours du regard entre l’étage et le bas, le mot Noritaké dans l’enfoncement de la porte qui conduit à l’étroit escalier qui mène à l’étage. Tout ce temps consacré à l’observation en position statique est autant de temps volé à la déambulation commune. 


Au bout d’un temps d’ailleurs nait une sorte de difficulté à décider de redémarrer, d’abord avec le questionnement de la direction. Où poursuivre, plus loin à l’air libre hors du toit, ou rebrousser chemin? A main gauche n’est pas intéressant. A main droite est un peu déprimant, sorte de goulet végétalisé arthritique. En parallèle se renforce l’idée que là est un point tout à fait sensé de rendez-vous.


Je t’attends au bas de Porta.


Elle arrive. Elle dit.

- Personne ne m’a jamais donné rendez-vous au bas de Porta. Une première.

- Ainsi, c’est fait.


Mais comme personne ne vient, il s’agit de posséder, ou de se doter, et de déployer le courage de se remettre en marche. Avant cela est apparu une association géographique dans l’esprit selon la règle de : Ceci évoque Cela, sans pour autant trouver clairement le moindre élément foncièrement commun hormis une galerie marchande couverte. Cela, je le vérifierai sur la carte ultérieurement, est le point où la rue Ginan à Fukuoka forme un angle vers le somptueux temple Kushita, alors qu’à main gauche démarre la galerie marchande couverte Kawabata. Galerie sans déclivité à Fukuoka. Avant que de faire le poirier au bas de Porta, je suis passé de façon routinière au temple Chosenji qui n’est pas situé lui dans l’immédiat territoire de l’extrémité de Porta. Un peu faibles comme similitudes, mais il faut croire qu’il en faut peu pour joindre les lieux.


De l’autre côté de la station, une maison de la largeur d’un haltérophile est en cours de finition. Un remarquable bâtiment dans son enveloppe de crépis industriel.


L’intérêt pour le bâti des autres se construit en partie sur un fond de frustration de ne pas savoir ce qui va disparaître, ce qui va être construit à la place, ce qui va durer plus qu’impensable. C’est un fond de frustration de petit propriétaire raté, d’un de-quoi-je-me-mêle-d’urbanisme, un râleur sans pouvoir en somme. Mais c’est que les changements qui opèrent dans les passages familiers sonnent presque toujours comme un affront, pire, un signe de mépris englué dans une gangue d’indifférence totale aux passants justement, ce passant qui est pourtant d’une certaine manière un peu propriétaire de l’espace de vie qu’il agrémente de par son passage, encore plus dans le cas de Tokyo où aucune graine de nostalgie pour moi ne peut fleurir. Seuls les liens éphémères d’associations géographiques affleurent parfois.

Mais cette situation à Shin-Okubo m’a vraiment pris de court. Certes, aucune mention de démolition imminente ne figurait sur les palissades de l’autre fois. Sauf qu’aujourd’hui, il n’y avait plus de palissades, juste un formidable vide sur cette petit surface qu’était la terrasse, un vide, et un mystère lancinant comme un ennui éternel, celui de ne pas savoir, de ne rien comprendre, à n’y rien comprendre.  





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