C’est de flots dont il s’agit, de flots de touristes, et donc de flots humains, coulées continues de scènes de sociologie, marchés internationaux où se retrouvent au bout des couloirs logistiques de transhumance hyperconsumériste des personnes et des cultures diverses et diversifiées, mais moins diverses au fur et à mesure que les tenues et les comportements s’homogénéisent, on dirait s’uniqloisent, territoires foires expos universelles où maintenant montent en pression et se distinguent encore des uniqloïsés les voyageurs du sud-est asiatique musulman et du continent indien à l’aise dans leurs vêtements et associations de couleurs locaux, leurs taches sur le front, mais eux aussi déjà surtout en familles de trois générations, les enfants, surtout les garçons en tendance surpoids comme les ados chinois, les couples avec bébés devenus une banalité de ce paysage redondant à l’aise partout avec les applis ou sans, il suffit alors de suivre les flux, s’arrêtant invariablement aux devantures colorées, ignorant invariablement les devantures sombres et cryptiques qui sont les dernières d’une dimension authentiquement authentique, se gavant de sucre, se perfusant de matcha au point qu’il faille en faire pousser en Afrique si ce n’est pas déjà le cas, tenant l’hostie de la brochette de wagyu de boeuf urugayen au risque d’un accident de la circulation dans le food court marché authentique, et la litanie des sources d’ironie d’une bêtise légère d’usine mondialisée qui triment pour la minorité où dans le rayon infantilisant, le Japon a peut-être encore une certaine avance de part son aillorité.
Parfois, souvent, c’est comique et abruti normalisé à la fois comme quand cette horde joyeuse d’Espagnols - Espagnols donc joyeux par définition et chapeaux ronds - envahit le tram à Hiroshima, ses huîtres, mais les queues au konomiyaki, ce truc que tu veux éviter de faire manger à tes parents qui n’ont plus l’estomac de grand ado comme toi, sont bien plus importantes. La grande activité parallèle de ces personnes qui maintenant rarement voyagent en solitaires est de pouvoir parler entre eux, et le tram de Hiroshima soudain est Barcelone à l’heure du bar donc à toute heure. Ça fait sourire. C’est amusant. C’est déprimant. Aussi, cela s’évite si facilement.
C’est une source de petite ironie mais il m’est impossible de me retrouver dans les voyageurs - masse de retraités plus ou moins encore valides dans le validisme exigeant, avec qui nous partageons plus ou moins et pourtant le même âge. Le fossé générationnel n’est pas situé dans le temps mais dans l’exposition de soi, la manière d’être dans l’espace et surtout, et particulièrement l’usage de l’espace temps où, en journée en tout cas, seul le mouvement, permanent, vigoureux ou traînard selon les heures et l’énergie disponible compte. Faut qu’ça bouge! Certes, il y a aussi l’habit générique, l’anorak fin court, le ventre de monsieur repus sans inquiétude sur sa situation économique jusqu’à fin de vie, ventre qui protude, les gros bras aux épidermes tâchés des dames qui rappellent une tante au paradis, mais j’y reviens bientôt. Il y a leur entre-soi joyeux qu’invariablement on veut associer à un trait caractéristique racio-nationaliste.
Toutes les peuplades de la terre consumériste à forte mobilité, donc une minorité massive, se retrouvent dans les halls géants des gares vites saturées comme on les veut pour brouter le consommable. 36 millions de touristes, c’est à peu près 36 millions d’anus qui font l’expérience de la douche anale des toilettes et qui se demandent comment ils ont vécus sans jusqu’alors. Alors qu’à Gaza hein …
Tous ces gros bras boudinés de femmes désormais hors modèles de la mode, d’hommes qui boivent et mangent en parallèle des statines ont donc éveillé ce souvenir des mêmes attributs des tantes et des oncles qui n’étaient pas encore sous statines, mais exposaient ces traits du vieillissement, le buriné épidermique, telle qu’il intrigue lorsque l’on est enfant et que l’on regarde les grands âgés comme ils le sont depuis toujours comme dans les contes. Ces populations de soixantenaires quand le physiologisme disjoncte, mais le vitalisme s’impose me sont devenus chiants et touchants à la fois, parce qu’ils parlent de, ils réexposent l’enfance, surtout l’enfance en vacances estivales quand les peaux s’exposent y compris les vilaines, et je suis ainsi gré à toutes ces inconnues, à tous ces bedonnants de m’avoir fait ainsi basculer dans l’enfance et de les regarder non pas de haut, mais très exactement de bas qui est la hauteur de quand on est pas encore grand et que cela est encore tellement loin que c’est encore du domaine de l’impensable.
