Si vous deviez l’écrire



La question posée :


Je cherche des sources d’analyses sérieuses sur quelque chose que je ne sais pas clairement exprimer. Il s’agit du fait qu’en voyage, à destination, personne n’est exempt d’un bagage mental de soucis, thématiques diverses qui transpirent dans les intéractions une fois sur place. Par exemple, X fraîchement arrivé à Tokyo ne peut pas ne pas mentionner son intérêt et sa douleur sur la situation de guerre en Palestine, c’est à dire un sujet géographiquement lointain même s’il figure dans l’actualité internationale comme tant de choses qui pour l’ultra-majorité locale ne signifie rien. Localement, les sujets lointains sont marginaux. Alors qu’X se trouve physiquement à Tokyo, ses idées et pensées sont en partie ailleurs, impactées par des intrants de flux d’informations identiques à ceux qu’il suivait au départ chez lui. Il a besoin d’en parler alors que le contexte local est différent. Avec quelle branche d’études cela résonne-t-il?


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Une longue analyse structurée suit. Puis vient enfin en guise de résumé la chose suivante : 


Formulation possible (si vous deviez l’écrire)


Voici une formulation synthétique que vous pourriez retravailler :


Le voyage contemporain ne suspend pas les régimes attentionnels et moraux préexistants. Le sujet mobile reste pris dans des flux informationnels globaux qui continuent de structurer ses préoccupations, produisant une dissociation entre présence spatiale et présence symbolique. Cette dissociation devient visible dans l’interaction, lorsque des thématiques lointaines s’imposent dans des contextes locaux où elles ne sont ni partagées ni pertinentes.


Si vous deviez l’écrire. Est-ce un trait d’humour, de cynisme programmé désamorcé par la suggestion de retravailler le texte?


On pourrait aller plus loin car les flux informationnels globaux ne sont qu’un élément du bagage d’a-priori, de goûts et de dégoûts, d’inclinations politiques, du degré colonial de regard porté sur eux intensifié avec l’impossibilité de communiquer directement et en long, globalisé comme la motivation consumériste de tout est la plus forte. Cela ne touche pas que les visiteurs. Les phénomènes de cristallisation même à long terme sont courant, tout comme les longs sillages à soi.


On peut considérer la problématique d’une requête culturelle qui demande clarification, c’est à dire d’abord le souhait d’acquérir du vocabulaire, des expressions, sur la base de l’évidence suivante : avec qui d’humain pourrais-je avoir la moindre conversation même mal fichue, même rapidement mise en sourdine, sur un tel sujet quand le badin, l’aparté, le trait humoristique qui désamorce, ou l’évitement dominent?


Idem pour le concept d’homme de la métrople de Georg Simmel appliqué à Tokyo.

Ouille, c’est pesant tout ça, compliqué!

La réponse est bien sûr : personne. Il n’y a personne avec qui entamer la moindre conversation de ce type, même brouillonne, et surtout de la poursuivre un peu. Et donc, comme aide à la réflexion, le LLM s’avère être, précautionneusement, inespéré. A condition dans l’immédiat ne pas aller trop loin dans la croyance des résultats, de penser par soi-même d’autres possibles. Mais si ce résultat était signé, attribué à un penseur célèbre faisant foi? En quoi cela changerait -il la donne?


La requête ultérieure aura été d’obtenir des suggestions de lectures “sérieuses”. Certaines étaient déjà connues, déjà lues, et pas exactemement dans le sujet; d’autres d’intérêt n’étaient pour une fois pas dans l’hallucination avec des titres d’ouvrages qui n’existent pas. 


Pour combler le silence d’une journée, un détour à la boutique de saké parfois suffit. Un homme jovial et heureux, épicurien solitaire satisfait d’y être m’y accueille. Deux dames arrivent dans la foulée qui s’avèrent être des voisines pour qui c’est la première visite alors que l’homme jovial annonce lui venir de loin une fois par mois, du côté de la station Ochiai, donc plus à l’ouest que moi-même. La conversation porte comme d’habitude sur la nourriture, terrain neutralissime. L’homme jovial est un connaisseur tout comme ses interlocutrices. On trinque. Il y est question de crabes de saison, photos sur mobiles à l’appui. Entre deux crabes, on apprend que les deux dames sont l’une mère, l’autre fille, qui ne se ressemblent vraiment pas.


La conversation que je ne fais d’abord qu’écouter, n’étant pas compétent en matière de crabe, passe maintenant à la géographie tokyoïte, à Kagurazaka. Invariablement, la mère me demande s’il s’agit d’un quartier français, ce à quoi je lui réponds que cette légende commerciale ne tient pas vraiment la route quand on pratique ce territoire, mais fait le buzz fatigué des médias tandis que des guides au fait des légendes au sujet desquels ils ne pensent rien comme des LLM ne font que l’entretenir. Elle semble quelque part refuser d’abandonner la légende mais que sais-je sur Tokyo? Quand on passe à Shin-Okubo, c’est invariablement le quartier coréen qui est cité alors qu’à main gauche au sortir de la station, le quartier n’est pas du tout coréen mais cosmopolite. Ces dames ne le savent pas et ne sont jamais allées à main gauche. On a des villes des perceptions et des habitudes très distanciées. Les usages et les routines font la géographie. Tourner à main gauche ou pas change le vécu du tout au tout.


Ce moment désormais redondant et ironique pour soi réceptacle est arrivé où des voeux brefs ou verbeux atterrissent, soi figurant dans une liste de destinataires .bcc si pas parfois comiquement ou étrangement ou d'évidence maintenant peut-être .cc, liste qu’il est alors impossible de ne pas parcourir avec des interrogations et beaucoup plus rarement des surprises, apparition de petites bulles de nostalgie qui crépitent à y trouver des noms en clair figés dans le passé jamais comblé par des retrouvailles. 


Il n’y a rien de plus aimablement et souvent pétris d’humour sincère mais froid de par cette forme de dispatching industriel que ces voeux en vrac, la tournée du facteur.

Les voeux en vrac tels les prospectus de salles de gym ou de livraison de pizzas et tempura réunis dans la boîte aux lettres introduits par des précaires vites disparus ont un quelque chose d’identique dans cette méthodologie, ce procédé d’emballage du moment. L’amitié s’use à cela, ou ne se construit pas, dans ces rapports de non-êtres courtois. 

L'action en retour, parce qu'il n'est pas question de rester passif, est de renvoyer en retour à destinataire unique un message personnalisé avec une photo sélectionnée pour ce qu'elle évoque sans doute de part et d'autre des souvenirs nostalgiques.

N’oublions pas que c’est le blues de Noël épuisé qui joue ici sur la cordelette, vivement le printemps alors que dans sept mois à peine c’est le retour de la canicule longue. Sur les quatre saisons, on ne peut qu’espérer l’automne avec nostalgie.


Au supermarché, le lendemain, les cuisses de poulets invendues ont été cuisinées dans cette sauce gluante sucrée et salée à la fois pour finir en montagnes de boîtiers plastiques transparents alors qu’autour tournent indécis un nombre important d’acheteurs potentiels comme attendant une réduction probable très bientôt vue l’heure par l’apposition d’une étiquette signifiant la ristourne. 


Bonne pioche que d’être passé par la boulangerie à Ningyocho pour apprendre qu’aujourd’hui est le dernier jour avant le jour de la reprise, sensation en conséquence d’avoir eu de la chance. Dans la rue centrale, des devantures improvisées de vendeurs de décorations du Nouvel An. Saison sèche, déco sèche. Paille tressé, riz battu en boule comme si du plastique. Les agrumes décoratifs sont les éléments brillants de l’ensemble.


Le professeur a passé un stade de vieillesse, de déconnexion sans retour qui n’était pas évidente au tout début du repas. Il s’est chargé comme à son habitude du choix du saké, un seul, m’apprenant par là-même qu’il s’agissait d’un breuvage à l’origine de la famille Minakata, le père de Kumagusu, qui, fabricant de saké s’était sérieusement enrichi au point que le fils n’eut pas à bosser. Je ne fus pas enchanté mais le gardais pour moi. Par contre, la petite histoire était d’intérêt qui fut l’occasion de remettre sur le tapis Swingle, 1915, voyage au Japon, rencontre du côté de Wakayama. Mais rien n’a accroché cette-fois dans la discussion. Une certaine dureté même flottait dans l’air, l’impatience liée à l’âge, la programmation d’une rencontre d’une heure trente, durée maximale décidée unilatéralement et annoncée en fin de parcours comme si le devoir accompli. Une grande lassitude, de sa part, s’étonnant même par deux fois de ce détour géographique uniquement pour le rencontrer, demandant quel intérêt j’y trouvais. Le plus étrange fut lorsqu’il demanda l’addition et que comme les fois précédentes, je signalais illico que nous allions partager. L’addition arriva. Il lut pour lui-même la note et s’exclama combien était si peu élevée pour ces agapes - le sashimi était assez nul pourtant. Puis il me demanda 5000 yens de participation, somme qui me semblait bien élevée, liquide qu’il apporta avec célérité à la caisse où je le retrouvais, et ce moment au bord du comique quand la jeune femme demanda s’il voulait un reçu, à quoi il répondit par la négative avant que de me demander si j’en voulais un, ce que j’approuvais, ce qui me permit de voir que j’avais pris en charge 75% de la note. 


C’est bien d’avoir des passagers chez soi. Ils sont particulièrement à l’aise, créant au plus vite leurs routines légères et s’adaptant très vite au quotidien. Je leur fais remarquer ma satisfaction à les voir ainsi sans tension, sans retenue sinon que la politesse dans un appartement petit où l’on doit se côtoyer. Je leur dis supposer que de par leur métier, leur environnement professionnel artistique, ils sont habitués aux changement de lieux, de gens, de générations, de classes sociales, d’ostentation de privilèges comme de simplicité précaire. C’est très exactement cela. Le mélange de leur enchantement et de leur lucidité parallèles font de leurs observations et questionnements des moments très intéressants. 


Dans leur périple routier long et transrégional, ils ont été surpris de la visibilité de voitures sportives de luxe sur les autoroutes, certaines transportées par camions plateaux. La grande route m’étant un paysage étranger, leur remarque laisse songeur en regard du fond défaitiste courant qui se voudrait égalitaire.


La voisine envisage elle un voyage en Hollande. Elle me demandera conseil. Gouda.