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La marchande de riz me dit, désolée, expression mêlant sourire et affectation de tristesse, que les senbeis vont encore bientôt augmenter, parce que le riz glutineux augmente. Heureusement qu’une femme au pouvoir veille au grain de riz qui va voir ce qu’il va voir. L’amidon entre-t-il dans les adhésifs de composants électroniques, de missiles et de modules photoélectriques de caméras de surveillance et d’attaque ? Dit-on caméra d’attaque ? En quoi une caméra peut-elle être un élément d’agression ? C’est tout vu.
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Au café, les 200 grammes se situent maintenant au double du café d’entrée de gamme du supermarché. Le cours de la vie se vit au niveau micro de la vie quotidienne. Acheter du café au café devient un acte de soutien, non seulement économique, mais de milieu, d’ambiance, de pérennité à court terme d’un mode de vie en déclin. On réduit la voilure du café de soutien.
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Au marchand de miso, je dis qu’il s’agit là d’un des derniers marchands exclusivement de miso, l’autre connu ayant été gentrifié depuis des années, remodelage de l’aménagement intérieur d’un vrai vintage à un faux vintage, packaging cool, multiplication des fancy products, les mignardises inutiles où le packaging est le sémaphore et le poste de coût majoritaire, coin dégustation avec le misoshiru fancy aussi servi comme le vin de messe – ce savoir-faire de faire savoir implicitement les mystères par l’exposition d’un visage impassible et d’une gestuelle calme, donc précieuse, en communion avec le divin, intronisée aux rites de la sophrologie appliquée à la consommation de la culture idéalisée. Le petit jeune qui officie est payé tout juste de quoi manger des bentos de konbini deux fois par jour. Dans sa vie, il n’a pas une fois mangé un repas kaiseki. La poudre de thé vert est aussi bonne qu’un faux matcha.
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On se fait refouler au sushi. C’est ainsi que l’on passe de 5 à 0 étoile comme de vie à trépas. Le malaise ressenti en mode préparatoire était prémonitoire, malgré l’intérêt du lieu. Le patron a-t-il été infecté entre temps par une dose de relent de Sanseito ? C’est plus compliqué. Je ne lui en veux pas. Je n’en veux plus.
Heureusement, le soir, au lieu consacré, c’est accueil pérenne, pas de problème de savoir à l’avance que pas d’alcool, que très peu de nourriture et qu’on évacuera fissa.
Un article éclairant à bien mâchouiller, sur Routledge, gratos, 2022.
Incorporation of urban differences in Tokyo, Mexico City, and Los Angeles
Auteurs : Naomi C. Hanakata, Monika Streule, et Christian Schmid.
À Tokyo, il est question de Shimokitazawa. C’est lumineux, ça dézingue la fiche Wikipédia. Cela explique en calque ce qui se passe à Kōenji-sud, où la veille, pour la première fois, il est devenu évident que l’équilibre entre l’ancien, le commerce du quotidien et les boutiques vintage, breloques, mignardises, cafés copier-collés homogénéifiés et le mystère de cette multitude de salons de coiffure s’est complètement rompu. Le sud de Kōenji, après la toiture de Porta, ne vaut qu’en survolant du regard, et surtout pas en détaillant ce qui s’y trouve, s’y construit en direct : une galerie d’art de mignardises, les impliqués affairés devant la vitrine en tenue de cool de crétins haut de gamme tendance Omotesandō. Des quarantenaires, bien sûr.
Il est un exercice intéressant et extrêmement risqué, parce que révélateur, en mettant des mots au paysage commercial, que d’énoncer tout en marchant ce que l’on voit. C’est que bien souvent encore, et heureusement, pour qui ne peut lire les signes, l’identité, la fonction de bon nombre des commerces sont, au premier coup d’œil, incompréhensibles. Il y a un plaisir de ne pas comprendre pour qui ne sait lire, qui s’accompagne de la poursuite de la transition dans l’espace. Rares sont ceux qui s’arrêtent pour tenter de comprendre de quoi il s’agit. Phénomène observé à Teramachi, à Kyoto, où les rares boutiques d’objets du culte bouddhiste, ne cachant pas pour autant les artefacts dans les vitrines, étaient particulièrement visibles l’autre fois du fait même de la rareté, si ce n’est de l’absence, de passants en mode statique devant, regardant les vitrines. Prendre une photo panoramique devant la devanture était d’autant plus faisable, malgré la densité humaine autour, que presque personne n’y pratiquait le lèche-vitrine, la langue semblant d’abord être attirée partout par quelque chose de connu ou d’imaginable, une boutique de jeans.
Il en va de même avec la seule vitrine qui demeure à Koenji-sud d’un marchand d’antiquités, sobre, éteinte, au teint jaunâtre, boutique à chaque fois vide lors des passages, totalement décalée de la population en flux.
Mais si ce n’est pas de la gentrification, qu’est-ce alors?
“Conclusion: Shimokitazawa serves as an example for the commodification and incorporation of ‘something outside the mainstream’ for the mainstream. These differences emerged in and through everyday life, created by a complex interplay of individual local shop owners and the theater and music communities, transgressing cultural sectors and producing a different culture. Importantly, the incorporation of these differences was initiated and advanced by the same actors, as well as by the larger metropolitan audience—creating a kind of ‘new metropolitan mainstream’. This kind of urban transformation is fundamentally different from situations in which higher income groups enter a neighborhood and induce the displacement of former residents and users: in Shimokitazawa, the long-established inhabitants and shop owners themselves were driving this process of urban transformation. This illustrates the contradictory dynamics of the production of urban differences, which were produced as an alternative to mainstream culture but became incorporated into the commercial entertainment apparatus of the metropolitan region.”
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Lumineux.
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