“What is needed is for the tools to be retrained, to be transparent about uncertainty. (…) Models are really good at giving you an answer, but sometimes, there isn’t an answer.”
Extrait d’un article d’actualités de Nature en ligne du 25 octobre 2025 - AI chatbots are sycophants — researchers say it’s harming science.
Ecrire foutraque donc. Plus fort que le LLM.
Cela commence ainsi, une mention dans Fabula d’un nouvel ouvrage, Close Reading for the Twenty-First Century. Ça interpelle. C’est compliqué Fabula, une fenêtre grande ouverte sur un monde grand fermé qui pratique l’ouverture très subtile, une haie de groseilles au bord d’un hameau dont on ne sait pas trop si c’est indescent ou pire de se servir, mais on ne peut pas s’empêcher : de picorer, goûter, cracher parfois, ou n’en garder en bouche que des petits morceaux qui conviennent à soi.
Le livre américain intrigue. On parle en français de lectures rapprochées, de microlectures. Ça tombe bien, j’ai acheté une loupe.
Quelques jours plus tard, c’est une recension du livre sur le Los Angeles Review of Books, très intéressante, pas du tout Fabula-iste exclusive, bien au contraire.
Je te signale que c’est un blog sur le Japon. On s’en fout de tes élucubrations.
Justement, on y vient. Mais l’attente qu’un blog avec dans l’intitulé Tokyo se consacre à Tokyo est totalement has been et au-delà du risible.
Mais d’abord, Los Angeles, banlieue mentale de Tokyo.
D’ailleurs en aparté, N m’envoie une photo de Shanghai, banlieue mentale de Tokyo aussi - elles sont nombreuses les banlieues mentales, il suffit d’y penser pour les rendre banlieusardes, banlieusées. Ensuite, il m’envoie une vidéo tournée en mouvement à hauteur du regard, une vidéo de 14 secondes fendant la foule qui marche comme lui dans ce qui s’apparente à une rue marchande, très Chine, très rouge, réminiscence flash d’un quelque chose de la petite rue marchande latérale de Kichijoji avec un brin du conduit saturé sauf tard qui mène au temple à Asakusa.
Il suffit de 14 secondes d’image pour commotionner les neurones qui gambergent. On dira - le regard, l’attention transnationalisée dans le présent. L’ici et l’ailleurs sont des lieux-temps.On évitera de banaliser l’affaire mais l’inscrire aussi dans le descriptif des quotidiens. L’attention transnationalisée est affaire de regard et de sonorité qui se superposent au regard et à la sonorité du présent microlocal. alors que j’achetais mes poireaux à Tokyo (vélo aussi rime), Shanghai est apparu sur l’écran.
C’est un exemple banal d’interférence, d’infraction, d’immission, et de coalescence d’ici et d’ailleurs. Cela pourrait tout autant être un direct où la cible filme le drone qui se dirige vers lui pour l’exploser.
La recension du LARB débute avec un rappel de la métaphore du “parlor” dans The Philosophy of Literary Form (1941) de Kenneth Burke. Ça sent docte mais je ne l’ai pas lu, mais quelque chose résonne immédiatement. Et aussi, l’odeur docte est un point de vue, à adopter, adocter, avec maladresse aussi, mais cela commence par cela : une adoption, une adoction.
En aparté sur Burke, il existe un recueil épistolaire Burke Malcom Cowley - le Cowley du Retour de l’exilé, des auteurs de la “génération perdue” du Paris des années 20 - très mâles hormis Gertrude, mais une lecture ancienne fondamentale.
Un extrait un peu long - l’article est gratuit en ligne. L’auteur se nomme Douglas Dowland et enseigne à la Ohio Northern University, dont un cours ENGL 3271: Literature and Medicine qui m’intéresse beaucoup.
The parlor is a promise: that analysis and argument are part of an “unending conversation” that, though begun long before us, is one to which each of us can contribute. We are mortal, but the conversation is not. If anything, we can depart the parlor confident that the conversation will go on indefinitely. The work of the parlor is the work of the mind. But it is the work of the heart, too warm from the heat of discussion, it is not the time or the place to isolate. The parlor needs people: those who agree and those who disagree, those willing to listen and those willing to help. To me, the appeal of the parlor stems from its democratic potential: the tenor is there for anyone to catch, anyone can put in their oar, and everyone’s contribution has an effect. Argument leads not to enmity but to intimacy and community. The parlor is no place for a demagogue.
Le “parlor” dont il est question, c’est le salon littéraire perpétuel, qui ne disparaît pas avec la défection de la dame de ces lieux, la disparition de ses participants qui vont et viennent. Comme l’article et le média sont extrêmement américano-centrés, le démagogue en fin d’extrait est Trump. Il n’est pas difficile pour autant de décentrer et étendre le propos vers ailleurs.
Ce qui détonne dans l’article, c’est l’exposition lucide si pas même risquée, la mise en garde que malgré l’affirmation des auteurs que la microlecture est une affaire de tout un chacun, tout comme l’accès au Parlor est censé l’être, démocratique, égalitaire, avec des opinions mais sans jugement, malgré la belle déclaration d’intention d’ouverture, de non-élitisme, l’arc de développement du propos finit par retomber dans un exclusivisme universitaire.
Le lieu—texte, le lieu comme texte.
On prend le lieu, on y va, et on le micro-lit. Il y a une incroyable quantité de déambuleurs pour de multiples raisons qui ont leurs mots à dire de l’expérience d’y être. On peut déplacer le curseur du texte vers un lieu, du quotidien en priorité. Encore un livre inaccessible sur ce sujet : The Everydayness of Cities in Transition: Micro Approaches to Material and Social Dimensions of Change.
Oh! Ça sent compliqué! Comme les vies aux quotidiens examinés. On y mettra en contraste les monopoles de discours sur les lieux, les propagandes touristiques, les propagandes d’aménagement urbains (synonyme de financiarisation), les utilisateurs et subisseurs à qui l’octroi est fait de systèmes de notations à lignes d’étoiles ou de questionnaires à deux questions, maintenant même à une seule.
Micro-lire un lieu peut se pratiquer par exemple en décidant de cesser un temps sa mobilité dans l’espace. Pas dans la nasse de l’invite à consommer, s’assoir au café, à la terrasse, mais bien l’arrêt dans l’instant de sa déambulation pour micro-lire le moment et l’espace immédiat. On peut feindre d’attendre quelqu’un si cela rassure. Il suffit de s’écarter des flux mais demeurer aux bordures de ceux-ci. Il se passe alors quelque chose, immédiatement tellement l’idée et la mise en acte de l’idée de s’arrêter ici et maintenant, tout de suite, là, sont de l’ordre de l’impensable, du saugrenu, de la blague obédience bord de la falaise de la folie. Cela demande beaucoup de volonté que 1. D’y penser 2. Passer à l’acte du statisme, et de l’observation calme.
Ce faisant, on ne referme pas l’opportunité de se faire extorquer de la possibilité à soi d’énoncer l’espace, le moment présent, les pratiques du quotidien qui s’y déroulent. C’est d’ailleurs un anathème pour le consumérisme, le tourisme. Le statisme, évidemment temporaire, juste pour cela, pas même pour une photo ou un selfie, juste pour voir, est subversif, anticonsummériste total. Le regard n’est pas encore source de data, mais avec les lunettes connectées, cela vient aussi.
Dès lors, dans une rue à Shanghai, Tokyo, ailleurs et ici donc, s’exposent en pleine vue des ailleurs parfois très ressemblants, 14 secondes de Chinois déambulants dans une ruelle aux tons rouges majoritaires regardant et étant vus à travers un agent ami, par soi qui n’est pas un flic ni un surveillant. Comment cette banalité de voir les autres dans leur banalité mobile en paix attire le regard sur l’écran est encore la preuve évidente de l’attraction du spectacle de la performation du quotidien. Pour annihiler, il faut d’abord ne pas montrer le quotidien en cours de destruction, par fragments seulement le quotidien détruit, et par fragments toujours le quotidien qui tente, le bougre, de ressurgir. Et puis il faut en parler dans le Salon, et donc faire Salon.
Dans un texte universitaire sur la microlecture, il est question de bruissement, l’auteur annonçant dérechef ne pas vraiment saisir de quoi il va être question. Il ne faut pas non plus laisser la propriété du propos bruissant à des spécialistes. Bruisser comme ici, faire foutraque, est une voie royale pour sortir des discours marchands qui n’en perdront pas le monopole, mais aussi de démocratiser l’écrit, et aussi de le déLLMiser quand il est encore temps. En bruissant-écrivant, c’est toujours une propagande à ne pas lire en moins, un avis flatteur d’algorithme tué dans l’oeuf du dédain.
