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| Il faut, il ne faut pas, veuillez. |
Reprenons, des jours après.
Le texte qui suit est particulièrement maladroit, raidi et laissé dans l’état. Il correspond bien à l’expérience, au ressenti du moment.
Les taquets de tabulation de cette plateforme offraient encore il y a quelque mois la possibilité de faire délirer le texte dans des contorsions bizarres. Ce symptôme hélas a disparu.
Ce n’est pas une bonne idée d’aller sillonner à 15 h un quartier du soir. On voit les coulisses sans fard, la logistique en action, les cartons, les caisses de polystyrène, un monde affairé qui n’hésite pas à klaxonner pour faire s’écarter les bovins qui bovinent encore et toujours des kilomètres sans fin. C’est intéressant de sillonner à 15 h. On voit tout, on comprend tout. Encore une illusion.
L’objectif était de traduire une lecture préalable poussée d’un quartier examiné longtemps sur la carte, cette fois-ci dans la déambulation, c’est-à-dire ajouter du vécu, du tangible, du visuel, du ressenti pour augmenter ultérieurement la densité de la lecture de la carte rendue ainsi plus sensible par l’expérience. Sur les trois rues parallèles, en commençant par le nord, Shimonzen, Furumonzen et Shimbashi, la première est un énorme gâchis architectural parfois comique, tant les façades multiples offrent un catalogue des goûts et volumes sur une quarantaine d’années. Les goulets totalement réaménagés n’ont la plupart du temps de goulet que le nom, toute la texture et l’attente d’un goulet ancien, patiné, ayant été évacuées depuis longtemps. Dans l’un, je cherche sans trouver un restaurant du soir d’intérêt quand une femme arrive à vélo. Je lui demande si elle connaît ce restaurant. Elle me répond très froidement par la négative. Les visiteurs permanents sont leur pénibilité du quotidien. De l’autre côté de la rue, pas très loin, un marchand de peintures de la catégorie nihon-ga est, lui, très avenant. Nous avons une bonne conversation. Je lui achète un livre sur l’estimation de la valeur de peintures nihon-ga d’artistes réputés, sachant que le sujet ne m’intéresse pas, mais le livre offre quantité de reproductions, ce qui en fait un catalogue adéquat. Interrogé sur le restaurant introuvable là-bas dans le goulet, il me dit ne pas connaître. Nombreux statiques ne connaissent pas. Comme à Tokyo.
Plus haut, une boutique de vêtements et étoffes historiques pour un échange courtois et clair. Les pièces proposées et protégées, peu exposées aux regards, sont de type objets de musées, d’ailleurs certains prêtés à des musées, m’informe-t-on. C’est bien d’être informé, de ne pas être laissé à mariner dans le vague. Une série de produits de consolation abordables, petits sacs et porte-monnaie, sont là pour satisfaire le touriste visiteur sans budget oligarque. Protégée de l’exposition directe sur la rue mais dans la vitrine pour autant, se trouve une veste de coton rustre, à l’indigo délavé, taché, d’une puissance d’évocation imposante avant même d’apprendre qu’elle date de l’ère Meiji. Nous nous quittons courtoisement. Ce n’est pas toujours le cas, mais c’est le cas ici. Je ne cherche pas l’amabilité. La courtoisie suffit.
Pas loin, dans un recoin, une boutique-atelier annonce en mauvais anglais au moins — mauvais dans le sens que l’expression provoque la confusion de sens, qu’importe la perfection — que les chineurs et lécheurs de vitrines sont priés de ne pas entrer. Tout ceci est de bonne guerre mais rend la démarche, une lecture lente et précise des lieux en prévision, un exercice parfois tendu, d’une tension qui s’accumule et fatigue. Il y a aussi cette boutique qui ne dit rien, y compris dans ce qui figure dans la vitrine, paquets emballés, que je sais être spécialisée dans un produit unique, de l’anguille longuement cuite, donc une sorte de tsukudani, mais pas tout à fait. L’atmosphère immédiate est pesante mais je suis là pour acheter. Poser des questions ramollit la tension. Je lui dis que cela doit bien se marier avec du saké. Elle me recommande le vin blanc aussi, et puis de l’émietter dans du fromage blanc, l’industriel avec lequel on fait le gâteau dit basque. L’anguille est noire, gluante de gelée superficielle. Elle entre dans la catégorie des mets sombres, toute la palette des bruns à l’anthracite, immontrables.
Furumonzen est la plus résonnante à l’expectative du quartier, avec des frontons majoritairement en plaquage de boiseries.
Shimbashi est cinématographique, avec un effet d’évasement qui est probablement une illusion d’optique, à vérifier une autre fois.
C’est probablement dans notre dernière conversation que M avait utilisé le terme 繁華街 hankagaï, appris trop récemment mais jamais rencontré dans les occasions antérieures.
Une foultitude de vocables existe pour catégoriser le rôle de la rue, du quartier dans le spectacle de la ville, surtout pour les rues et quartiers spectaculaires.
La propagande promotionnelle impose un discours monolithique sur ce qu’est un quartier : comment il doit être saisi, dans le sens d’être saisi comme de stupeur, et ne pas penser plus loin sinon qu’y consommer. Ici, le monolithe est la geisha, et la maïko, sa version juvénile. Il est facile de glisser vers l’expression Gion-land, mais Gion semble avoir été dès les débuts justement cela, un quartier d’attractions. Ce qui est à observer est l’impact de la fréquentation de masse permanente sur un quartier d’attractions qui connaissait sans doute des fréquentations à intensités contrastées. La fiche Wikipédia sur Gion, tout au service du monolithe, ne permet pas de se dégager même un peu du discours massue. Y circuler à 15 h dégage quelques pistes d’approches plus complexes.
Pour M, 繁華街 désignait clairement ces secteurs et segments liminaires ou intermédiaires vulgaires, rêches comme dans d’autres villes, contigus aux rues et ruelles de maisons de thé avec des devantures à moucharabiehs. Invisibilité du dedans, mystères. Il fréquentait les deux, mais les vulgaires avec le revers d’une main balayant l’espace pour signifier une dépréciation nécessaire en regard de la préciosité de l’autre versant.
Je décidai de rentrer plus tôt à Tokyo, mais pas avant un passage à Kikusui pour un rituel d’ancrage, en passant. Comme la dernière fois en mai, on oublia dans ma commande un verre de vin blanc, mais cette fois-ci, après un coup d’œil sur le ticket à montrer à la caisse où il ne figurait pas, je décidai de ne pas le redemander. L’étrangeté de la répétition de l’ignorance de la commande d’un verre de vin blanc était bien suffisante.
Avant de quitter les lieux, je suis passé au théâtre, pour me révéler l’erreur dans laquelle je baignais — beaucoup d’erreurs cette fois-ci. À la réception froide, je tentai d’expliquer les informations préalables que je cherchais à obtenir. L’incompréhension était réciproque. Ils se sont calfeutrés dans la loge avec la vitre panoramique sans chercher à démêler l’imbroglio. J’ai compris et appris juste après où le manque de jugeote m’avait entraîné. C’était d’un autre théâtre dont il s’agissait, à une dizaine de minutes à pied plus loin, permettant d’accumuler plus d’images à rappeler en mémoire lors d’une prochaine observation détaillée de la carte. Ce n’est pas l’idéal pour autant. Se désencastrer du discours monolithique est un labeur. Il faudrait y passer plusieurs jours d’affilée plutôt que ces quelques heures. Les rues sont trop complexes, heureusement, leurs enchaînements retors, leurs ressentis jamais figés.
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| The earliest known use of the noun touristship is in the 1840s. Choisir ses mots, jouer la clarté. Quand l’usage de la langue étrangère est l’expression d’un entre-soi, un autosatisfecit. |

